La directrice de l’ISSEP lance en cette rentrée le CAP, Centre d’Analyse et de Prospective, think tank conservateur. L’Incorrect l’a rencontrée à ce sujet pour un grand entretien, dont l’intégralité est disponible sur le site en podcast et en vidéo. Extraits.
Par Jacques de Guillebon | Publié le 9 octobre 2020
Vous avez dit à plusieurs reprises, et encore récemment, que ce n’était plus dans les partis politiques que se développaient les idées, et à cet effet, vous lancez un think tank en partenariat avec l’ISSEP. Quels sont les grands sujets qu’il s’agit de développer ?
Je déplore en effet que les grands sujets et les grandes analyses n’émanent plus des partis politiques, qui sont censés être le cœur vivant de la démocratie. Il m’a paru intéressant de monter d’autres structures, indépendantes et apartisanes, comme le Centre d’Analyse et de Prospective, parce qu’elles permettent de s’emparer de sujets, de les développer dans le débat public, et de le faire avec la liberté de ton et de réflexion que n’aurait pas nécessairement un parti politique. On peut associer des gens qui ont des parcours intellectuels et personnels très différents, et ainsi alimenter de façon beaucoup plus riche le débat. Nous allons nous emparer de toute sorte de sujets, comme l’économie, le social, la géopolitique, le sociétal. Prenons la question de l’organisation territoriale : quelle stratégie les pouvoirs publics doivent-ils porter, notamment pour les villes intermédiaires et les villes moyennes ? C’est un sujet essentiel parce qu’il permet aussi de sortir de la dichotomie entre, d’un côté, la France périphérique, la France du « vide », et de l’autre les métropoles. Il y a une troisième voie qui, à mon sens, pourrait contribuer à revitaliser cette France périphérique, et ne soit pas caricaturale comme la dé-métropolisation.
Un autre sujet, qui est au cœur de l’actualité et qui est essentiel, c’est l’écologie.
Oui, on reproche souvent à la droite de ne pas savoir s’emparer de ce sujet, et il faut bien avouer que ce n’est pas faux. Mais où je suis optimiste et sereine, c’est que le discours de la gauche est tout aussi pauvre et caricatural, une espèce d’écologie-marketing qui se réduit à des postures de communication. Alors que c’est un sujet tout à fait essentiel, qui relève du combat conservateur, et cohérent avec la doctrine conservatrice au sens large. Voilà quelques exemples, mais cela va bien au-delà, nous pourrions parler des institutions de la Ve République ou de l’Union européenne. Nous serons donc très libres, et l’idée est d’être régulièrement présent dans le débat public, je l’espère, plusieurs fois par trimestre.
Vous connaissant, nous supposons qu’il y aura tout de même une vision de droite dans ce CAP : votre vision de la revitalisation des villes moyennes, par exemple, rejoint le cheval de bataille du RN qu’est le localisme…
Je ne suis en compétition avec personne. Et évidemment des sujets, des thématiques, des solutions vont converger ou recouper avec ceux de LR, du RN, ou d’autres partis, cela ne me dérange nullement. Au contraire, l’idée n’est pas d’être dans une posture partisane. C’est un couloir complémentaire, avec une liberté intéressante. Évidemment, il y a des sensibilités qui vont se dégager. Dans les grands think-thanks qui existent actuellement, il y a diverses nuances de « progressisme », de « libéralisme », ou d’« européisme ». À partir de là, il y a indéniablement une place pour un centre de réflexion qui, lui, se situe plutôt dans le cadre du patriotisme économique, de la souveraineté, du conservatisme au sens large. Et cette originalité passera aussi par les thèmes et les intervenants choisis.
Depuis trois ans que vous avez quitté la politique au sens strict, avez-vous constaté une infusion de ces idées autour de vous, dans le monde politique et intellectuel ?
Je trouve que oui, les choses qui ont bougé. Je vous parlais de cette histoire des villes moyennes, je ne veux pas m’en attribuer le mérite mais c’est un sujet dont j’ai pu parler au moment de la Convention de la droite et qui avait eu une large résonnance car le discours avait été relayé en direct. Je suis heureuse de constater que ces idées-là, j’ai pu les retrouver dans une tribune des LR. On commence aussi à en voir des effets auprès du gouvernement qui lance des projets dans ce domaine. Je ne veux pas une fois de plus m’en attribuer les mérites, mais je pense qu’en imposant des sujets dans le débat public, ils font leur petit bout de chemin et les gens s’en emparent consciemment ou inconsciemment, stratégiquement ou non. Ça finit par avoir une utilité, et par faire réfléchir, même discrètement.