L’histoire des Hommes et des sociétés actuelles est davantage l’histoire des guerres et des conflits ainsi que celle de la paix. Les guerres ont construit les sociétés modernes et ont développé la dynamique de la sécurité internationale au XXIème siècle ; alors que la paix a toujours été recherchée afin d’assurer aux civilisations le progrès nécessaire pour leur bien-être. Néanmoins, il a été démontré que cette dernière n’était qu’une « utopie néfaste dans laquelle la liberté serait appelée à disparaître »[1]. De ce fait, l’acte des Hommes de faire la guerre était considéré comme étant un élément de la liberté humaine.
La paix a continué d’être l’aspiration humaine la plus importante et surtout celle dans laquelle l’être humain se sentait le plus à l’aise et au confort. Cependant, lorsque la situation de paix ne pouvait pas être maintenue et le recours à la guerre était le dernier recours pour l’Homme et pour les États, il a été imaginé toutes sortes de solutions possibles pour éviter l’éclatement d’une guerre. Si celle-ci ne pouvait pas être évitée, il s’agissait de trouver un mécanisme capable de limiter les actions hostiles et la conduite des opérations de guerre ; mais aussi de permettre ce recours qu’à un certain nombre d’acteurs. De ce fait, le Droit de la guerre a commencé à se constituer et à s’ériger comme le principal corps de principes délimitant les actions de guerre.
Ce droit s’est construit depuis l’antiquité et tant, dans le Code d’Hammourabi, ainsi que dans la Bible et le Coran, il est possible de trouver des règles relatives au respect de l’adversaire. Au Moyen-Âge et au début du XVIème siècle, et suite au constat de la présence du Droit de la guerre dans les textes sacrés, certains auteurs catholiques – Saint Augustin, Francisco de Vitoria, Thomas d’Aquin[2] et Francisco Suárez- et des jurisconsultes -Hugo Grotius-, ont édicté des règles et principes, sous forme religieuse et sécularisée, sur la limitation des actions et des moyens mis en œuvre par les belligérants.
Les principes sur lesquels vont se baser les futures règles limitant le recours à la force armée ainsi que la conduite des hostilités, sont nés dans cette époque dont les plus importants sont les principes de proportionnalité, de nécessité et de distinction[3]. Les principes, les lois et les coutumes de guerre ont été codifiés à partir du XIXème siècle et donc le Droit de la guerre actuel va se constituer autour des Conventions de la Haye et des Conventions de Genève.
Regardons les trois éléments qui composent le Droit de la Guerre
Le Droit de la guerre est une expression qui regroupe les règles et lois relatives à la conduite des hostilités ainsi qu’aux prérogatives de certains acteurs du système international à recourir à la force armée.
Il y a aussi des règles qui concernent la suite après la fin des hostilités. Ces lois sont dans sa majorité d’origine coutumière et visent à limiter la brutalité de la guerre dans une logique humanitaire et de respect de l’immunité des civils.
De la même manière, ce droit fixe des limites à l’usage de certains moyens dans la guerre ainsi que des limites au combat et par conséquent, il protège ceux qui ne participent pas dans les hostilités : les civils, les détenus, les malades et les blessés, et le personnel médical.
De ce fait, il existe trois catégories de normes : le jus ad bellum (ou droit à la guerre), le jus in bello (ou droit de la guerre) et le jus post-bellum (ou droit post-guerre).
A. Le jus ad bellum
Le jus ad bellum concerne le droit de faire la guerre, c’est-à-dire la justice avant la guerre, puis les justes raisons de faire la guerre.
Le jus ad bellum, ou le jus contra bellum, a pour finalité de limiter le recours à la force armée de la part des États. Selon David CUMIN « le jus ad bellum ou droit de la guerre au sens large […] régit le recours à la force armée en déterminant qui a le droit d’ordonner la guerre et pourquoi, autrement dit, qui sont les auteurs […] et quels sont les causes ou les buts des conflits armés […] [4]». Le jus ad bellum c’est le droit qui permet aux États, aux Organisations Internationales (OI), aux mouvements de libération nationale ainsi qu’à des entités non-étatiques à recourir à la force armée. Ces acteurs bien déterminés qui disposent de cette prérogative ne peuvent l’utiliser que dans des cas spécifiques, et donc la notion de « causa justa » de Thomas d’Aquin fait son apparition.
En effet, l’entité qui a recours à la guerre ne peut le faire que si elle est motivée par une juste cause. C’est donc la cause de guerre, le causus belli, qui est bien délimité par le jus ad bellum.
Le recours à la force armée est interdit en Relations Internationales par la Charte des Nations Unies, mais ceci n’évite pas que des conflits surgissent et donc, quand ils surgissent, le jus ad bellum indique quels sont les causes légitimes pour pouvoir faire usage de la force. Les États, les OI ou les entités non étatiques peuvent recourir à la force armée en cas de sécurité collective, de légitime défense – individuelle ou collective–, d’autorisation du Conseil de sécurité, ainsi que lorsque le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est invoqué au sein d’un État –peuples en situation coloniale, postcoloniale ou d’apartheid. Il faut bien constater que le Droit International n’interdit l’usage de la force qu’entre les États mais il ne l’interdit pas au sein des États.
Font partie du jus ad bellum : le Droit de la prévention des conflits, le Droit au règlement pacifique des différends, le Droit des alliances ainsi que le Droit de la sécurité collective.
B. Le jus in bello
Le jus in bello concerne le droit dans la guerre, c’est-à-dire la justice pendant la guerre et la juste façon de faire la guerre
Le jus in bello, aussi connu sous l’appellation de Droit International Humanitaire (DIH), a pour finalité de limiter les dommages et les souffrances causés par la guerre à travers la protection et l’assistance humanitaire des victimes ou des populations vulnérables –malades et blessés, enfants, femmes enceintes, personnes âgées. Il s’agit du droit applicable lorsqu’un conflit armé éclate et certains préfèrent parler de Droit des conflits armés –internationaux ou non-internationaux. Selon David CUMIN « Le jus in bello ou droit de la guerre au sens strict […], euphémisé en ‘droit international humanitaire’ régit l’usage de la force armée en déterminant qui a le droit de faire la guerre et comment, autrement dit, qui sont les acteurs […] et quels sont les instruments […] et les modalités des conflits armés […][5] ».
Le jus in bello c’est le Droit qui permet, lors de l’éclatement d’un conflit, de limiter les moyens et méthodes de guerre et protéger les blessés, malades, prisonniers de guerre et surtout les civils. Il ne prend pas en compte les causes du conflit, mais plutôt la manière d’agir dans celui-ci et il s’applique à toutes les parties belligérantes. Autrement dit, le jus in bello met en place les principes et les modalités du déroulement des opérations de guerre et limite l’usage de certains moyens et méthodes de guerre qui ne feraient pas la distinction entre combattants et non-combattants. De cette manière, il s’agit de diminuer ou atténuer les effets néfastes et collatéraux sur la population civile.
Le DIH s’applique aussi aux mesures coercitives économiques en raison de leurs effets sur les civils. Farideh SHAYGAN explique à ce sujet que « pour que des règles et des principes fondamentaux du Droit international humanitaire soient néanmoins applicables aux sanctions économiques, il serait indispensable de considérer, par analogie, de telles mesures comme une attaque ou des méthodes de combat [6]».
De cette manière, il est possible de constater que le DIH tend à protéger les populations ainsi que les blessés et malades, y compris lorsqu’il n’y a pas des opérations de guerre, comme c’est le cas des sanctions économiques. Il a donc pour but de préserver la dignité humaine en temps de guerre, mais aussi en temps de paix.
Il faut bien constater que le DIH est un Droit qui s’utilise pendant l’usage de la violence, pendant un conflit armé pour faire respecter les exigences humanitaires. Dans le jus in bello il est possible de trouver le Droit de la Haye concernant la conduite des hostilités et le Droit de Genève concernant la protection des victimes. Il s’agit donc d’un droit coutumier, mais qui a été rédigé dans différentes conventions.
C. Le jus post-bellum
Le Jus post bello concerne la justice dans la reconstruction et la justice vis-à-vis du perdant.
Le jus post bellum, ou droit post-conflit, régit principalement les instruments juridiques qui marquent la fin d’un conflit ainsi que les conséquences de celui-ci. Il est constitué d’un ensemble de normes de transition et comprend aussi le Droit pénal international, le Droit de la responsabilité internationale et tout ce qui concerne la suite à la fin d’un conflit.
Avant de conclure, interrogeons-nous sur la question de la violation du Droit de la Guerre ?
Le Droit de la guerre, étant un droit conventionnel, il s’impose à toutes les parties belligérantes. Même s’il existe encore des règles qui ne sont pas codifiées, elles restent du droit coutumier et donc elles doivent être respectées. Le DIH par exemple, doit être respecté de par sa nature erga omnes[7], autrement dit, ce sont des obligations qui doivent être respectées en toutes circonstances parce que leur respect est dans l’intérêt commun de tous les États. De plus, les normes et principes du DIH constituent des normes de jus cogens, c’est-à-dire des normes impératives du Droit international général auxquelles aucune dérogation n’est permise.
Étant donné qu’il s’agit de normes qui doivent être respectées par tous, la violation du Droit de la guerre connaît différentes sanctions parmi lesquelles on trouve la mise en œuvre de la responsabilité internationale de l’État, la réparation des dommages causés, la responsabilité pénale internationale des autorités ayant commises des crimes internationaux –crimes de guerre, de génocide, contre l’humanité– ainsi que la réaction armée de l’État ou de la partie agressée. De toutes ces sanctions c’est généralement la responsabilité internationale de l’État agresseur ou la responsabilité pénale de celui qui a commis des crimes internationaux qui sont mises en œuvre. Le Conseil de sécurité peut condamner un État fautif et peut prendre des mesures pour finir avec l’acte illicite. De son côté, la Cour pénale internationale est chargée de juger les individus, autorités ou agents d’Etat, ayant commis les crimes décrits ci-dessus. En tout état de cause, c’est à la victime de la violation du DIH ou du Droit international à qu’incombe la charge de la preuve.
En conclusion,
Il est possible de constater que le Droit de la guerre est tout un ensemble de normes qui permet de limiter les effets néfastes des conflits sur la partie vulnérable de la population, mais aussi qui permet d’encadrer les opérations armées dans la guerre et explicite qui a le droit de recourir à l’usage de la force et les causes légitimes pour en recourir. Le jus in bello et le jus ad bellum sont les branches les plus importantes du Droit de la guerre et elles sont autonomes l’une de l’autre ; ce qui veut dire que si une violation est commise à l’encontre d’une de ces branches, cela ne signifie pas que l’autre a été violée.
Le Droit de la guerre montre comment la guerre n’est pas en dehors du droit et que celui-ci limite les acteurs, les moyens et les méthodes de guerre. Néanmoins, même s’il existe des conventions et plusieurs codifications de ce droit, la nature polymorphe des conflits actuels dépasse le cadre réglementaire du Droit de la guerre qui se trouve en retard par rapport aux nouveaux conflits. Par conséquent le Droit de la guerre doit continuer à évoluer pour pouvoir continuer à réglementer les conflits actuels. Conflits de plus en plus présents.
Rappelons-le-nous, le célèbre ouvrage de Raymond Aron, « Paix et guerre entre les nations », n’a jamais semblé autant actuel que depuis sa première parution en 1962. « La rationalité commande de songer à la paix, en dépit du vacarme des combats [mais] de ne pas oublier la guerre, en dépit du silence des armes ».
Merci !
L’article est déverouillé. Bonne lecture !
Bibliographie.
ARON Raymond, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 2008, p.52
BACHOFEN, Blaise et SPECTOR, Céline, Rousseau : Principes du Droit de la guerre. Écrits sur la paix perpétuelle, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 2008.
BANNELIER, Karine et PISON, Cyrille, Le recours à la force autorisé par le Conseil de Sécurité, Paris, A. Pedone, 2014.
COUSTON, Mireille, Droit de la sécurité internationale, Master 2 Science politique – Relations Internationales spécialité Relations Internationales, sécurité et défense, Université Jean Moulin Lyon III, Semestre 10, année 2014-2015.
CUMIN, David, Manuel de droit de la Guerre, Bruxelles, Larcier, 2014.
D’ASPREMONT, Jean et DE HEMPTINNE, Jérôme, Droit international Humaniraire, Paris, A. Pedone, 2012.
SHAYGAN, Farideh, La compatibilité des sanctions économiques du Conseil de sécurité avec les droits de l’homme et le droit international humanitaire, Bruxelles, Bruylant, 2008.
Les définitions classiques de la guerre
Conceptions classique et moderne du droit de la guerre
SOURCES
[1] COUSTON, Mireille, Droit de la sécurité internationale, Master 2 Science politique – Relations Internationales Spécialité Relations Internationales, sécurité et défense, Université Jean Moulin Lyon III, Semestre 10, année 2014-2015.
[2] Saint Thomas d’Aquin. « Pour qu’il y ai cause juste, il faut que ceux que l’on attaque aient mérité par une faute d’être attaqués »« L’autorité du Prince et une intention droite, c’est-à-dire avoir en vue le bien commun et non pas son intérêt personnel ». In Somme théologique 1273
[3] Ces principes sont connus sous l’appellation de « principes de la guerre juste ». Le principe de proportionnalité signifie que les dommages causés à une partie belligérante ne doivent pas être excessifs par rapport à l’avantage procuré par l’usage d’un moyen de guerre. Le principe de distinction est un principe bien établi par Grotius qui sépare les combattants des non-combattants et qui attribue à ces derniers une immunité s’ils ne participent pas aux hostilités et s’ils ne constituent aucune menace pour la partie adverse. Enfin, le principe de nécessité indique qu’il ne faut utiliser que les mesures nécessaires à l’accomplissement des buts de guerre.
[4] CUMIN, David, Manuel de droit de la Guerre, Bruxelles, Larcier, 2014, p.26
[5]Ibid.
[6]SHAYGAN, Farideh, La compatibilité des sanctions économiques du Conseil de sécurité avec les droits de l’homme et le droit international humanitaire, Bruxelles, Bruylant, 2008, p.116.
[7]L’expression erga omnes signifie d’application générale ou, littéralement, à l’égard de tous. Conçue par opposition à la relativité d’une situation juridique, elle se dit presque exclusivement d’un effet de droit qui touche l’ensemble des citoyens.