Face au laxisme judiciaire, quelle possibilité de réaction pour le juge pénal ?

note d'actualité CAP ISSEP - Face au laxisme judiciaire, quelle possibilité de réaction pour le juge pénal ?
Jean-Luc Coronel de Boissezon - Contributeur du CAP de l'ISSEP

Dr. Jean-Luc Coronel de Boissezon

Agrégé des facultés de droit, enseignant-chercheur, chaire de Droit

Un juge pénal souhaitant réagir au laxisme est d’abord entravé par le système défaillant dans lequel il est pris ; mais il est en outre dépossédé des décisions qu’il prononce, en raison des dysfonctionnements de leur exécution. Des solutions sont pourtant envisageables.

Le laxisme judiciaire en France a été illustré par un nouveau scandale en septembre 2024 avec l’« affaire Philippine », étudiante volée, violée et tuée par un Marocain en situation illégale, qui avait bénéficié du statut de « mineur isolé », avant d’être condamné pour viol en 2021 à seulement 7 ans de prison en raison du fait qu’il était alors mineur, et sorti en outre au bout de 4 ans en raison de la politique de réduction de peine, enfin non expulsé alors qu’il était sous OQTF (obligation de quitter le territoire français). Toutes les défaillances de la justice pénale française  sont conjuguées dans cette affaire emblématique.

Selon un sondage Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro, en novembre 2023,  77 % des Français estiment que les juges sont « plutôt laxistes » ; 69 % les accusent d’être « plutôt politisés ». Les deux faits sont en effet indissolublement liés.

 

I. La difficulté structurelle d’une réaction du juge : un système défaillant

I. 1. – Le laxisme systémique de la doctrine pénale dominante

D’après le rapport Insécurité et délinquance en 2023, bilan statistique du ministère de l’Intérieur, tous les indicateurs de la délinquance sont en augmentation en 2023 : homicides (+5 %), trafic de stupéfiants (+4 %), escroqueries (+7 %), coups et blessures volontaires (+7 %) et violences sexuelles (+8 %). À quelques exceptions (notamment l’année 2020 qui a vu une baisse de la délinquance liée au confinement), tous les indicateurs de la violence augmentent depuis 2018[1].

Si l’on prend davantage de recul, on constate qu’en cinquante ans, entre 1970 et 2020, le taux de criminalité au sens le plus général (du vol à l’homicide) a été multiplié par 5 en cinquante ans, entre 1970 et 2020[2].

Ce laxisme a pour origine une idéologie. Promue en particulier par le Syndicat de Magistrature fondé le 8 juin 1968, cette idéologie produit un discours sur la finalité de la justice. Il est refusé que celle-ci soit la sanction du mal causé aux victimes et au corps social (fonction rétributrice du droit pénal), ni la réparation qui doit l’accompagner (fonction réparatrice). Au contraire, est fixé pour but la compréhension du comportement des délinquants et criminels, sa rectification par une peine à visée pédagogique, enfin son suivi par des services spécialisés (juge d’application des peines ou JAP, service pénitentiaire d’insertion et de probation ou SPIP, etc.) pour une réinsertion rapide dans le corps social, avec la conviction que cette mansuétude contribuera à l’apaisement des tensions au sein de la société, par une meilleure prise en compte des inégalités qui sont considérées comme l’explication des comportements déviants.

I. 2. – Le carcan législatif ou « l’impossibilisme légal »

Un Code pénal de 1994 équivoque 

Le Code pénal actuel, créé par plusieurs lois promulguées le 22 juillet 1992, est entré en vigueur le 1er mars 1994, pour remplacer le code napoléonien de 1810 (dit aujourd’hui « code pénal ancien ») qui avait été formellement maintenu jusqu’alors, mais avait commencé à être dénaturé depuis les années 1970. La doctrine pénale dite de la « défense sociale », principalement développée par le magistrat et théoricien du droit Marc Ancel (1902-1990), consistant à repenser tout le système pénal autour de la réadaptation sociale du délinquant en lui évitant la prison, était déjà présente dans l’importante loi du 11 juillet 1975 qui avait inventé les peines de substitution, et dans celle du 10 juin 1983, qui avait créé le travail d’intérêt général. Le Code pénal de 1994, conçu dans cette même perspective, est cependant équivoque : il n’est pas , en réalité, d’un seul bloc[3].

À l’origine, ce code était une entreprise socialiste, portant la marque du garde des Sceaux du président Mitterrand, Robert Badinter. Le livre Ier du Code, qui contient les dispositions générales communes à toutes les peines et à toutes les infractions, est ainsi directement inspiré par la théorie ancellienne de la réinsertion sociale.

Cependant, si ce Livre Ier avait donné lieu à des joutes parlementaires assez violentes ente la droite et la gauche, les livres II à IV en revanche, qui paraissaient beaucoup moins politiques, puisqu’il ne s’agissait que d’y définir techniquement le vol, l’escroquerie, le meurtre, etc., n’ont pas donné lieu à autant de tensions. Cette moindre vigilance, au moment du passage du Code devant la Chambre haute, a permis aux sénateurs de droite de faire voter dans une quasi-indifférence une accumulation de peines complémentaires : interdiction professionnelle, confiscation, fermeture d’établissement, etc.[4] C’est ainsi que les livres II à IV, plus répressifs, ont aménagé la possibilité de contenir le laxisme du livre Ier. Le magistrat peut donc essayer d’intervenir dans ce grand écart. 

Trente ans de législation supplémentaire en faveur de peines alternatives

Les gouvernements successifs, de gauche comme de droite supposée, ont multiplié les peines alternatives à la prison, au moyen de projets de loi. La loi du 15 août 2014 a ainsi supprimé les « peines planchers » (qui avaient été introduites en 2007 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy), au motif de l’individualisation de la peine, et créé une nouvelle peine en milieu ouvert, la « contrainte pénale », pour les auteurs de délits encourant une peine d’emprisonnement de cinq ans maximum. En 2019, Nicole Belloubet a supprimé les peines de prison inférieures à un mois. Entre un et six mois, les peines de prison ferme sont obligatoirement aménagées. Entre six mois et un an, les peines doivent être également aménagées. Au-delà d’un an, les peines ne peuvent plus être aménagées. Éric Dupond-Moretti a aggravé cet ensemble par une nouvelle mesure : la « liberté sous contrainte de plein droit », à savoir la libération du  détenu trois mois avant que sa peine s’achève, quelle que soit sa durée[5].

Le problème de la législation pénale des mineurs

Les grands principes de la justice pénale des mineurs ont été formalisés dans l’ordonnance du 2 février 1945, complétée par des textes ultérieurs. L’actuelle législation pénale continue de surprotéger les mineurs, au nom d’un « principe de spécialisation », notamment inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, qui veut que la justice des mineurs soit rendue dans des juridictions spécialisées et selon un droit lui aussi spécifique. Sauf cas très graves permettant au juge de lever « l’excuse de minorité » à partir de 16 ans – ce qui est exceptionnel -, les mineurs voient ainsi leurs peines diminuées de moitié par rapport à celle d’un majeur. De surcroît, la sanction pénale même est exceptionnelle, la part belle étant faite aux sanctions « éducatives ». Le secrétaire général adjoint  de l’Union syndicale des magistrats, Aurélien Martini, confiait en avril 2024 : « Je n’ai jamais vu un juge des enfants mettre une peine de cinq ans pour trafic de stupéfiants. Comment imaginer alors le seuil de dix ans comme le prévoit le code pénal ? »[6]

En septembre 2021, le problème de la croissance exponentielle de la violence des mineurs a abouti à l’adoption du Code de la justice pénale des mineurs (CJPM). Son apport a principalement été de raccourcir les délais de jugement : « Aujourd’hui, la convocation pour la première audience de culpabilité intervient dans un délai de 2,5 mois et celui entre la déclaration de culpabilité et le jugement qui décide de la peine n’excède pas 9 mois en moyenne », selon le ministère de la Justice[7]. Pour autant, en doublant le nombre d’audiences, la « césure » aboutit à un encombrement supplémentaire des juridictions spécialisées, qui pour faire décroître la masse des dossiers sont portées à en « classer sans suite » un plus grand nombre : conçue contre le laxisme, cette innovation le favorise en fait à nouveau.

I. 3. – Des moyens insuffisants

Albin Chalandon, ancien ministre de la Justice de 1986 à 1988, dénonçait déjà « une justice condamnée au laxisme, faute d’argent et de personnels »[8]. L’idéologie dominante, en privilégiant la « prévention », favorise plutôt depuis cinquante ans un financement colossal des services sociaux : en 2023, la France a consacré 849 milliards d’euros aux dépenses de prestations sociales, soit 32,2 % de son PIB, taux le plus élevé d’Europe. En revanche, le discrédit jeté sur la répression contribue à expliquer le retard massif pris dans le financement de la justice pénale, et plus généralement du système judiciaire : avec 10 milliards cent millions d’euros en 2024, le budget de la justice française ne correspond qu’à 0.21 % de son PIB.

L’une des aspects de ces faibles moyens est le manque de magistrats. La France compte 8 500 magistrats en juridictions, ce qui représente à peine plus de 11 juges pour 100 000 habitants, alors que la moyenne en Europe est à plus de 22 pour 100 000. L’Allemagne par exemple compte deux fois plus de magistrats par habitant[9]. La justice française ne peut donc pas faire face à l’afflux de dossiers et doit prioriser. Le seuil de gravité pour justifier un passage en audience est progressivement relevé pour répondre aux faits les plus graves. Les autres délits n’en sont pas moins traités, mais bénéficient de « mesures alternatives », dont le seul but est de désengorger les tribunaux.

Un autre aspect déterminant est le manque de place de prisons. La densité carcérale s’établit à 119 détenus pour 100 places, ce qui place la France sur la troisième marche du podium de la surpopulation carcérale en Europe, derrière Chypre (166 %) et la Roumanie (120 %)[10]. Pourtant, la France n’a pas de problème aigu de places de prison par rapport à sa population : selon des statistiques de 2016, la France comptait 88 places de prison pour 100 000 habitants. La moyenne européenne, elle tournait autour de 130 places[11]. Le problème n’est donc pas prioritairement le nombre de places de prison, mais bien le taux de délinquance et de criminalité surélevé, fruit d’une politique pénale insuffisamment dissuasive. Le cercle est vicieux : face à cette explosion de l’insécurité, la Justice n’a pas d’autre choix que de progressivement amener des dossiers de plus en plus graves vers des réponses alternatives, et de libérer des détenus de manière anticipée, ce qui renforce encore l’insécurité, et ainsi de suite.

 

II. Les entraves à la réaction du juge dans l’exercice de son office : un magistrat peu indépendant et dépossédé de sa décision

1. – Les entraves constituées par le statut de la magistrature

Un système de recrutement contestable

Un véritable formatage des magistrats est produit par leur système ordinaire de recrutement, l’École nationale de la magistrature (ENM, sise à Bordeaux). Créée en 1970 dans la foulée de Mai-68, l’ENM est depuis un demi-siècle sous l’emprise des « idées de Mai ». L’école présente en outre l’inconvénient de sélectionner des élèves venus de l’Université, d’une part très jeunes et donc immatures (entre 23 et 25 ans), d’autre part massivement féminins (73 % des juges du siège et 59 % du parquet[12]), les traits anthropologiquement traditionnels de la psychologie féminine inclinant naturellement vers la bienveillance maternelle, la recherche du compromis pacifique et les valeurs du « soin ». Les magistrats qui arrivent dans les prétoires au sortir de l’ENM sont beaucoup trop jeunes pour avoir une significative expérience de la vie, sans connaissance des pathologies sociales et des milieux de la délinquance et de la criminalité, puisque issus majoritairement de milieux socialement favorisés, et animés de surcroît par un esprit de corps assez hermétique, produit par leur scolarité bordelaise en circuit fermé, propice à la promotion d’une idéologie progressiste « maison », rétive à l’observation des réalités de la France actuelle.

L’anomalie du syndicalisme judiciaire

Les juges sont d’autre part sous l’emprise du syndicalisme judiciaire. C’est à nouveau Mai-68 qui l’a fait naître. Le premier chronologiquement est justement le Syndicat de la Magistrature, d’obédience marxiste. Il représentait aux dernières élections du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), en 2022, 33, 3 % des suffrages : un magistrat sur trois assume ainsi se situer à l’extrême gauche, et ce pourcentage n’a cessé d’augmenter au fil des élections professionnelles. Devant le Syndicat de la Magistrature se place l’Union syndicale des magistrats, de centre-gauche, avec 66,6 % au Conseil supérieur de la magistrature. Non représentés au CSM, deux autres syndicats, de positionnement centriste, se partagent les miettes : aux élections à la Commission d’avancement des magistrats de 2022, le Syndicat Unité Magistrats FO a obtenu 7,5 % et le très récent syndicat CFDT Magistrats 0,6 %. La droite assumée comme telle est totalement absente de cette représentation syndicale.

L’illusoire protection statutaire de l’indépendance du juge

Contrairement au parquet, la magistrature assise bénéficie de la supposée garantie d’indépendance qu’est l’inamovibilité. Mais le juge ne peut échapper à d’éventuelles sanctions disciplinaires. Elles sont régies par l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Son article 43 définit la faute disciplinaire comme « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité ». Deux types de procédures peuvent à ce titre frapper le magistrat : il peut recevoir un avertissement, une suspension ou un changement de chambre de la part du chef de cour dans le cadre de la procédure disciplinaire hiérarchique ; par ailleurs, il peut être affligé de plus lourdes sanctions disciplinaires, prononcées par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), sur saisine par le ministre de la Justice, ou par les premiers présidents de cour d’appel. L’article 45 du statut dresse la liste des sanctions applicables, depuis la réprimande avec inscription au dossier jusqu’à la révocation avec suspension des droits à la retraite, mais n’établit aucune règle de correspondance entre les fautes et les sanctions : l’arbitraire règne. Aucune voie de recours n’est expressément prévue par le statut de la magistrature. Toutefois, le Conseil d’État reconnaît sa compétence de juge de cassation, ce qui ne présente guère de garantie supplémentaire, eu égard à la proximité du gouvernement de cet organe[13]. L’indépendance du magistrat est donc un mythe, qui trouve de très rapides limites.

Un exemple de cette vulnérabilité du juge face à sa hiérarchie est « l’affaire Skurtys », survenue en juin 2023[14]. Président des comparutions immédiates au tribunal judiciaire de Paris, le juge Tony Skurtis faisait l’objet de l’hostilité d’avocats et de journalistes qui l’avaient surnommé « Monsieur 100 % » ou « le juge Marteau », lui reprochant en particulier de prolonger systématiquement les mesures de rétentions administratives des déboutés du droit d’asile sous obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le 19 juin 2023, une avocate très active sur les réseaux sociaux, la Franco-Marocaine Safya Akorri (alias « Frenchy Lawyer »), s’était insurgée contre la sévérité du juge Skurtys à l’égard de son client, un demandeur d’asile condamné pour viol à quatre années de prison ferme avec mandat de dépôt. Elle a été aussitôt relayée par l’extrême gauche du Barreau, dont l’avocat-blogueur Christian Pelletier (alias « Maître Eolas »), appuyé par le journal Libération qui a lancé la persécution médiatique du juge. La bâtonnière de Paris émit un signalement auprès de l’autorité juridictionnelle dès le lendemain, 20 juin et le même jour, Tony Skurtys fut démis de ses fonctions de présidence en correctionnelle jusqu’à nouvel ordre par le président du tribunal judiciaire de Paris, sans même attendre le témoignage des autres magistrats présents lors de l’audience. Le lendemain, il lui fut interdit de présider désormais des audiences. Il fut finalement déplacé à la chambre des contentieux économiques et sociaux[15]. Pourtant, le juge Skurtis avait manifestement sauvé, grâce à la rigueur qui lui était reprochée face aux délinquants et criminels sous OQTF, des dizaines de jeunes filles comme Philippine.

 II. 2. – Les possibilités de résistance au laxisme dont dispose le juge dans ses décisions initiales

Un juge pénal à l’action, en moyenne, plutôt équilibrée

En nombre de prisonniers pour 100 000 habitants, l’Hexagone fait partie des pays se situant dans la moyenne (plus ou moins 5 %) des 47 pays membres du Conseil de l’Europe[16]. Et dans la seule Union européenne, la France incarcère moins que l’Espagne, le Portugal, la Lituanie, la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie, l’Estonie, la Lettonie, la Hongrie, Malte ou encore le Royaume-Uni, membre de l’UE jusqu’en 2020.

Ainsi les juges du siège des juridictions pénales françaises, en moyenne nationale, ne sont-ils ni draconiens, ni laxistes à proprement parler, dans les peines qu’ils prononcent.

En 2022, 541 700 condamnations définitives envers des personnes physiques ont été prononcées – ce qui ne veut pas dire exécutées, on va le voir. Parmi les peines ou mesures principales, 46 % sont des peines d’emprisonnement ou de réclusion, 35 % des peines d’amendes, 3,1 % des mesures et sanctions éducatives et 14 % concernent d’autres peines, dont la plus fréquente est la peine de jour-amende (deux autres peines sur cinq)[17].

À titre d’exemple concernant l’explosion récente des cas de « refus d’obtempérer », dans la semaine du 30 septembre au 6 octobre 2024, dans la ville de Béziers, le tribunal correctionnel a prononcé des peines de prison ferme dans deux cas : 3 ans de prison pour un premier prévenu, pour avoir provoqué une poursuite de 18 minutes par les forces de l’ordre ; 6 ans pour un second prévenu, pour une poursuite de 20 minutes et la mise en danger d’un gendarme par ce conducteur qui avait foncé sur lui[18]. Ces peines ne sont pas laxistes… mais c’est leur application qui le sera probablement.

Un juge pénal disposant d’un arsenal déterminant de peines accessoires

Si l’engorgement des prisons entraîne les réticences que l’on sait à prononcer l’incarcération au titre de la peine principale, les magistrats soucieux de conjurer le laxisme ambiant peuvent néanmoins recourir à l’éventail des peines complémentaires, à titre accessoire : interdiction professionnelle, confiscation, fermeture d’établissement, etc.

Ce sont, en fait, ces peines complémentaires qui sont aujourd’hui les plus dissuasives. Les délinquants ne sont plus impressionnés par la peine de prison, d’abord parce qu’elle est le plus souvent prononcée avec sursis, ensuite parce que lorsqu’elle est ferme elle fait l’objet d’aménagements (bracelet électronique) et de réductions, enfin parce que dans le cas des peines longues le confort relatif de l’établissement pénitentiaire le rend insuffisamment  dissuasif pour des voyous qui y retrouvent souvent une partie de leur bande et y continuent parfois leurs trafics. Le scandale tout récent d’un détenu ayant commandité depuis la prison de Luynes, près d’Aix-en-Provence, un règlement de compte interne à la guerre des gangs du narco-trafic à Marseille, qui a abouti au meurtre par un mineur de 14 ans d’un homme étranger à l’affaire, le 4 octobre 2024, confirme de façon retentissante cette situation hors de contrôle.

 II. 3. – Un juge pénal dépossédé de son autorité au stade de l’exécution de la peine

 « Toute la partie post-sententielle est en grande difficulté » résume François-Noël Buffet[19], avocat et sénateur LR du Rhône, président de la commission des lois au Sénat[20].

Les voies de recours

La principale est l’appel, voie de recours largement ouverte, n’étant exclue que dans les cas de condamnations civiles ou pénales inférieures à un certain seuil, toujours largement outrepassé par les peines frappant les délinquants et criminels qui créent l’insécurité endémique actuelle. En appel, en outre suspensif sauf en cas d’adjonction d’une exécution provisoire, la peine est très majoritairement réduite. À titre d’illustration, si un délinquant condamné pour trafic de stupéfiant pourra fréquemment, aujourd’hui, être condamné à 10 ans de prison en première instance par le tribunal correctionnel, son passage devant la Cour d’appel se traduira dans une majorité de cas par une réduction d’un tiers de sa peine, à sept ans.

Le juge d’application des peines

Mais le deuxième et principal facteur de réduction de la peine prononcée, qui peut s’ajouter à celui des voies de recours si elles ont été prises, est le juge d’application des peines (JAP ; Code de procédure pénale, art. 712-1 s.). Le juge d’application des peines a été créé en 1958, avant de voir son rôle sans cesse accru, en particulier par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, puis par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (dite Perben II).

Dans l’état actuel de la législation, toutes les peines de 12 mois et moins sont susceptibles d’être aménagées après le jugement par le JAP[21]. En 2022, 48 % des courtes peines (moins de 6 mois) et 37 % des peines de plus de 6 mois ont fait l’objet d’un aménagement : placement sous bracelet électronique, placement à l’extérieur, placement en semi-liberté, libération conditionnelle[22].

La récente « Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire » du 18 novembre 2021, votée pour répondre à la croissante colère populaire, a supprimé les « crédits de réduction de peines », mais mais ce même article prévoit que le JAP pourra accorder des réductions allant jusqu’à 6 mois par année de détention et 14 jours par mois pour une durée d’incarcération inférieure à un an, pour les condamnés ayant « donné des preuves suffisantes de bonne conduite ou qui ont manifesté des efforts sérieux de réinsertion ».[23]

Ainsi, un condamné incarcéré qui accepte de recevoir des soins psychologiques reçoit automatiquement une réduction de peine  de six mois ; s’il accepte de commencer à indemniser sa victime (fût-ce d’un montant insignifiant), il obtient à nouveau automatiquement une réduction de six mois ; etc.

L’Institut pour la Justice a réalisé en janvier 2023 une étude sur l’exécution des peines, dont il ressort que 41 % des condamnés à de la prison ferme ne vont pas en prison. Ce qui joue sur la moyenne de durée d’incarcération qui s’élève à 62 % de la peine[24].

La lenteur de l’exécution

Selon les dernières données du ministère de la Justice, le délai moyen des procédures correctionnelles est de 9,5 mois, tandis que celui des classements sans suite est de 10,2 mois, les jugements pénaux attendant en général 13 mois. Enfin des peines restent non exécutées, comme si le procès n’avait été qu’une fiction : en 2022, la Chancellerie affirmait que 83 000 (15,5 %) peines d’emprisonnement ferme devenues exécutoires dans les cinq dernières années demeuraient en attente d’exécution[25].

 

Conclusion : trois niveaux de solutions envisageables

 Trois niveaux de solutions sont envisageables afin que le laxisme judiciaire puisse être contrebattu par le juge.

1er niveau : des solutions immédiates relevant de la seule autorité judiciaire.

– Le juge peut recourir à la faille dans le laxisme du Code pénal, à savoir l’arsenal des peines complémentaires, pouvant intervenir sur des prévenus suffisamment socialisés : interdiction professionnelle, confiscation, fermeture d’établissement, etc.

– Le juge peut par ailleurs, spécialement face à des prévenus très faiblement socialisés et donc particulièrement incontrôlables, user des peines les plus dures prévues par la loi, ne serait-ce qu’afin de prévoir ainsi en amont la réduction que recevra la peine à l’issue d’un recours, puis dans son application.

– Pour les mineurs, le juge spécialisé peut prononcer dès les premiers délits des peines très sévères, mais courtes, afin de donner un « choc d’autorité » sans maintenir le mineur dans un milieu de condamnés trop durablement.

2e niveau : une solution de moyen terme relevant du pouvoir exécutif.

– La construction de prisons (15 000 nouvelles places sont actuellement prévues).

3e niveau : des solutions de plus long terme relevant du pouvoir légistatif.

– La suppression des dispositions législatives excluant l’incarcération pour les peines courtes. Le modèle est celui des Pays-Bas, seul pays d’Europe occidentale qui parvient à fermer progressivement des prisons grâce à l’efficacité de sa politique pénale (l’État néerlandais loue désormais des prisons vides à la Belgique qui, elle, manque de places[26]) : le recours important à de courtes peines, dans un parc carcéral suffisant qui permet de les exécuter très rapidement, à l’inverse de la France où il faut souvent attendre de longs mois et où les peines ne sont de surcroît pas exécutées jusqu’à leur terme initialement prononcé.

– Le rétablissement des peines planchers, afin de compenser la culture de l’excuse dominante dans le corps des magistrats.

– La suppression de « l’excuse de minorité » pour les auteurs de violences aux personnes, quelle que soit leur nature, comme le souhaitent les Français[27].

– La réforme du mode de recrutement des magistrats : suppression de l’ENM ; recrutement de professionnels du droit après au moins dix ans d’expérience professionnelle.

– L’interdiction du syndicalisme dans la magistrature.

– La suppression du juge d’application des peines : il n’existait pas en France avant 1958 et n’existe pas chez nombre de nos voisins, étant notamment absent du droit pénal anglo-saxon[28].

– Le rétablissement d’une complète hiérarchie des peines répondant à la gradation des crimes, par la proposition du rétablissement de la peine de mort, soumis par référendum au peuple français souverain. 55 % des Français y étaient favorables en 2020[29].

Tant qu’une part significative de ces solutions ne sera pas adoptées, la définition ironique employée dans son manifeste fondateur par le Syndicat de la Magistrature restera hélas valable : « Magistrat : un mot qui commence comme magicien et qui finit comme castrat »[30].

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SOURCES

[1]Ministère de l’Intérieur, « Insécurité et délinquance en 2023, une première photographie », Interstats, Analyse n°64.

[2]« Justice : une institution à bout de souffle ? », émission Un monde en doc, chaîne Public Sénat, 13 janvier 2024.

[3]Voir l’entretien avec le Pr. Jacques-Henri Robert, « Le juge entre positivisme et conformisme », Catholica, n° 58, hiver 1997-1998, p. 33-37.

[4]Claude Lombois, Droit pénal général, Hachette, 1994.

[5]Judith Weintraub, « Laxisme et politisation : la grande dérive de la justice », Le Figaro, 6 octobre 2023.

[6]Paule Gonzalès, « Délinquance des mineurs: pour la justice, un phénomène difficile à appréhender », Le Figaro, 15 avril 2024.

[7]Ibid.

[8]Judith Weintraub, art. cit.

[9]Joanna Yakin, « Malaise de la justice : y-a-t-il vraiment autant de juges aujourd’hui en France qu’à l’époque de Napoléon ? », France Info, 22 novembre 2022.

[10]Europe 1 avec AFP, « Prisons : la France mauvaise élève en Europe en termes de surpopulation carcérale », 28 juin 2024.

[11]France Inter, « La France lanterne rouge en Europe pour les places de prison ? », 8 octobre 2016.

[12]Ministère de la Justice, « Les données de la justice française au regard des comparaisons internationales », Infostats Justice, n°188, octobre 2022.

[13]Sénat, « Le régime disciplinaire des magistrats du siège », Étude de législation comparée n° 131, janvier 2004, senat.fr.

[14]Victor Eyraud, « ‘‘Tout ceci a des airs de chasse à l’homme’’ : Tony Skurtys, juge et victime de la cabale médiatique », Valeurs Actuelles, 6 juillet 2023.

[15]Nicolas Cuocco, « Plainte du juge Tony Skurtys contre Libération : un traitement de dossier étonnement long », Le Journal du Dimanche, 3 juillet 2024.

[16]Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe (SPACE) sur les populations carcérales pour 2020.

[17]Ministère de la Justice, Références Statistiques Justice, 2023.

[18]Entretien avec le président du tribunal correctionnel au sein du tribunal judiciaire de Béziers, le magistrat Christophe Rolland, le 6 octobre 2024.

[19]« Justice : une institution à bout de souffle ? », émission Un monde en doc, chaîne Public Sénat, 13 janvier 2024.

[20]Ibid.

[21]À titre d’exemple, selon les statistiques de 2014, les JAP avaient décidé les mesures suivantes d’individualisation des peines : 48481 permissions de sortir, 2235 placements à l’extérieur, 4238 placements en semi-liberté, 7949 libérations conditionnelles et 28524 placements sous surveillance électronique.

[22]Références Statistiques Justice 2023, https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-et-statistiques/references-statistiques-justice-2023.

[23]Conseil national des barreaux, « Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire » du 18 novembre 2021, cnb.avocat.fr, en ligne.

[24]Institut pour la Justice, « Peines de prison ferme : quelle exécution ? », janvier 2023, institutpourlajustice.org.

[25]Judith Weintraub, art. cit.

[26]« La France lanterne rouge en Europe pour les places de prison ? », art. cit.

[27]Alexis Bergeron, « Sondage : 75 % des Français favorables à la suppression de l’excuse de minorité pour les mineurs impliqués dans des crimes graves », Le Journal du Dimanche, 20 avril 2024.

[28] Il n’existe en droit anglais aucune disposition consacrant le droit du détenu à un aménagement de peine ou à une mesure de libération automatique ou de « probation ». Seule compte la décision de condamnation initiale du juge, lequel fixe dans une même condamnation le quantum de la peine et toutes les modalités de son exécution.

[29]« Les Français majoritairement favorables au rétablissement de la peine de mort, selon une étude », Le Figaro, 14 septembre 2020. Voir aussi Paul Sugy, « L’adhésion des Français à la peine de mort, symptôme d’une justice en crise », Le Figaro, 10 février 2024.

[30]Syndicat de la Magistrature, Au nom du peuple français, 1974 ; cité par Hervé Lehman, Soyez partiaux ! Itinéraire de la gauche judiciaire, Paris, Cerf, 2023, p. 17.

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