Seconde procédure d’impeachment : chronique de l’acquittement de Donald Trump

Anthony Lacoudre, contributeur du CAP de l'ISSEP, avocat résidant aux Etats-Unis

Anthony Lacoudre

Contributeur du CAP de l'ISSEP

Avocat résidant aux Etats-Unis

L’impeachment de trop

Le 13 janvier 2021, alors qu’il ne restait plus que six jours avant la fin du mandat de Donald Trump en tant que président des Etats-Unis, la Chambre des Représentants votait le second impeachment de Donald Trump, un peu plus d’an après avoir voté le premier le 18 décembre 2019. Trump devenait alors le troisième président de l’histoire des Etats-Unis à faire l’objet de cette procédure particulière de mise en accusation par la chambre basse du Parlement et le premier président à être mis en accusation à deux reprises. 

Le premier impeachment et l’acquittement du 5 février 2020

La première fois, il était reproché au Président de s’être entretenu au téléphone avec le nouveau président de l’Ukraine lors d’un appel téléphonique intervenu au mois d’août 2019, au sujet de potentiels agissements frauduleux en Ukraine de Joe Biden et de son fils Hunter.

Pour les Démocrates, Donald Trump avait franchi une ligne jaune : comment osait-il chercher à obtenir auprès d’un chef d’Etat étranger des informations concernant son opposant potentiel à la prochaine élection présidentielle ? A l’époque, on soulignera qu’il n’était pas du tout évident que Joe Biden emporte les primaires démocrates.

L’intégralité des députés démocrates (majoritaires) de la Chambre des Représentants avait alors voté en faveur de la mise en accusation de Donald Trump alors que l’ensemble des députés républicains votait contre. 

Puis, en février 2020, le Sénat acquittait le Président, estimant que les charges d’abus de pouvoir et d’obstruction au Congrès étaient infondées.  Seul le sénateur républicain Mitt Romney rejoignait le camp de la gauche en votant contre Trump, coupable selon lui d’abus de pouvoir.

Le second impeachment pour incitation à l’insurrection

Cette fois-ci, il était reproché au Président, à l’occasion de son discours prononcé devant la Maison Blanche (Save America speech), d’avoir incité à l’insurrection lors de la manifestation du 6 janvier 2021 à Washington DC, encourageant la foule à envahir le Capitole.

On se souvient des images choquantes des manifestants forçant les barrages de police et pénétrant dans les locaux du Capitole, interrompant les débats sur le vote des grands électeurs et sur la fraude électorale des élections présidentielles, qui avaient commencé une demi-heure auparavant dans le cadre de la session jointe du Congrès.

Une procédure de mise en accusation bâclée

A la différence de la procédure conduite en 2019, où l’enquête de la Chambre des Représentants avait duré plusieurs mois, aucune enquête n’a été diligentée cette fois-ci. Aucune preuve n’a été produite par l’accusation, personne n’a été appelé à témoigner, la procédure ayant été bâclée, sans que la Maison Blanche ne puisse même présenter ses observations. Cette absence d’enquête était d’autant plus surprenante que l’accusation était grave. En réalité, les Démocrates n’avaient pas le choix, ils se devaient d’adopter cette mise en accusation avant le départ de Donald Trump prévu le 20 janvier 2021.

Après seulement deux heures de débats à la Chambre dans l’après-midi du 13 janvier 2021, 232 députés ont voté en faveur de la mise en accusation, correspondant à l’intégralité des députés démocrates rejoints par dix députés républicains (dont Liz Cheney, la fille de l’ancien vice-président de George Bush Jr). 197 députés républicains votaient contre, 96 % des députés républicains s’opposant donc à cette procédure d’impeachment qu’ils jugeaient totalement infondée, inutile voire néfaste. Le sénateur Lindsey Graham précisait alors : « Aujourd’hui, le Président a été mis en accusation sans aucune preuve. C’est devenu la norme. Faites attention. C’est une attaque contre la présidence à perpétuité ». 

De nombreuses questions sans réponses

La Chambre des Représentants ayant décidé de ne pas mener d’enquête, des questions importantes restaient sans réponse.

Par exemple, Donald Trump avait-il réellement eu l’intention de provoquer une insurrection en organisant cette manifestation ? D’ailleurs, quels bénéfices aurait-il pu en tirer ? Une manifestation pacifique n’aurait-elle pas été plus avantageuse pour lui dans l’espoir d’influencer le vote des membres du Congrès qui étaient en train de débattre des fraudes électorales ? Du reste, était-ce vraiment une insurrection armée comme le prétend la gauche ? La plupart des personnes qui ont écouté le discours ne sont pas allées au Capitole, et la plupart de ceux qui s’y sont rendus ne sont pas entrés dans le Capitole ; la plupart de ceux qui y sont entrés n’ont commis aucun crime une fois dans le Capitole, aucune destruction dans les salles et les bureaux, aucune attaque de personne. Les images montrent plutôt des personnes prenant des photos sur place. Qui plus est, seule la police a tiré des coups de feu. Parmi les cinq morts déplorés, trois manifestants ont été piétinés par la foule ou ont subi des crises cardiaques (en dehors du Capitole) et un policier est mort d’une crise cardiaque le lendemain de l’invasion (apparemment sans lien avec l’incident). Et la police a abattu de sang-froid d’une balle dans la gorge une ancienne militaire de 35 ans, qui n’était pas armée, alors qu’elle venait de pénétrer dans l’enceinte du Capitole. On ne sait pas d’ailleurs si une enquête contre le policier en question est en cours. 

Les manifestants étaient-ils tous des supporters de Donald Trump, voire des terroristes blancs racistes (white supremacists) comme l’affirment les Démocrates ? Des agitateurs d’extrême-gauche n’avaient-ils pas infiltré les manifestants ? La police avait-elle bien anticipé les possibles débordements ? Pourquoi la maire de Washington DC a-t-elle décliné l’aide de l’armée (National Guard) que lui a pourtant proposée Donald Trump lui-même ? Et pourquoi le chef de la police du Capitole – qui a témoigné sur le fait que ses demandes de renforts sont restées lettres mortes – a-t-il démissionné depuis lors ? Les heurts avec la police du Capitole n’ont-ils pas débuté avant même que Donald Trump ne finisse son discours et alors même que le discours se tenait à plus de deux kilomètres de distance du Capitole ? L’attaque du Capitole n’a-t-elle pas été planifiée plusieurs jours avant le 6 janvier – comme l’a déclaré le FBI – auquel cas il est difficile de l’associer au contenu du discours de Donald Trump ? Et si Donald Trump avait vraiment voulu fomenter une insurrection, ne s’y serait-il pas pris autrement ? On aurait vraisemblablement vu des tanks placés autour du Capitole…

Donald Trump accusé de contester le résultat des élections

En réalité, ce qui était reproché au Président sortant par la Chambre des Représentants, c’était surtout de contester les résultats de l’élection présidentielle du 3 novembre 2020, de ne pas accepter l’élection de Joe Biden, le candidat le plus populaire de tous les temps. On rappellera qu’aucun candidat dans l’histoire du pays, y compris Barack Obama, n’a jamais reçu autant de voix que lui (81 millions de voix, contre 70 millions pour Barack Obama en 2008 et 66 millions de voix pour Hillary Clinton en 2016).

Donald Trump, en effet, s’est attardé sur les soupçons de fraude électorale commise à grande échelle dans plusieurs Etats, plus particulièrement en Arizona, en Géorgie, dans le Michigan, en Pennsylvanie ou encore dans le Wisconsin, ce qui a fortement déplu au camp adverse. « Remettre en cause la légitimité des élections les plus sûres de toute l’histoire de notre pays est extrêmement dangereux pour la démocratie et constitue un acte de sédition », ont répété en chœur les responsables démocrates. 

Des Démocrates qui n’ont eu de cesse de contester le résultat des élections de 2016

Cet argument est surprenant venant de ceux-là mêmes qui n’ont cessé depuis quatre ans de contester la légitimité de l’élection de Donald Trump. Nancy Pelosi, la redoutable présidente de la Chambre des Représentants, a toujours clamé haut et fort que l’élection de 2016 avait été truquée (« hijacked election« ) et ce, sans produire aucune preuve. Hillary Clinton a constamment rappelé au cours de ces quatre dernières années que son élection lui a été volée et que Trump était un agent russe.

En raison de ces soupçons, le Sénat et la Chambre des Représentants ont mené des enquêtes pendant trois ans. Un procureur spécial a même été nommé pour enquêter sur la légitimité des élections de 2016, en la personne de l’ancien directeur du FBI, Robert Mueller. Tous ont conclu à l’absence de collusion entre Donald Trump et la Russie pour remporter l’élection de 2016. Les députés républicains opposés à l’impeachment du mois de janvier 2021 n’ont pas manqué de soulever l’incohérence ; Lauren Boebert (Colorado) soulignant que « la sédition, ce n’était ni la manifestation ni la contestation des résultats. La sédition, c’était les élections truquées ».  

Le Sénat est-il compétent pour ce procès ?

La prochaine étape consistait pour le Sénat à ouvrir la phase du procès en destitution à proprement parler. Le leader des sénateurs démocrates, Charles Schumer, insista pour qu’un procès « express » se tienne immédiatement après la mise en accusation du 13 janvier afin d’obtenir un verdict de la part du Sénat avant le 20 janvier, c’est-à-dire alors que Donald Trump était toujours en fonction. 

Toutefois, Mitch McConnell, le président républicain du Sénat, a habilement opposé une fin de non-recevoir à cette requête, en renvoyant le procès à une date postérieure à l’inauguration de Joe Biden (précisons que le Sénat n’était même pas en session entre le 14 et le 19 janvier 2021). « Il n’y avait simplement aucune possibilité qu’un procès juste et sérieux puisse aboutir en une semaine » déclara-t-il.

Autrement dit, le procès au Sénat allait se tenir alors même Donald Trump ne serait plus le président des Etats-Unis. Dans ces conditions, de nombreux experts en droit constitutionnel firent remarquer que ce procès ne serait pas valide, le Sénat étant incompétent pour décider de la destitution d’un président qui n’est plus en fonction et qui, par définition, ne peut donc pas être destitué. « Ce procès est stupide », réagissait le sénateur Marco Rubio. Le sénateur Lindsey Graham renchérissait quant à lui : « je pense que le procès au Sénat contre un président qui n’est plus en fonction viole la constitution ». 

Objectif : empêcher Donald Trump de se représenter à une élection

Mais à quoi donc pouvait servir la destitution d’un président qui n’est déjà plus en fonction ? Tout simplement à empêcher Donald Trump de se représenter à n’importe quel mandat électif, qu’il s’agisse des élections législatives de 2022 ou de l’élection présidentielle en novembre 2024. Pour les Démocrates, il fallait à tout prix empêcher Donald Trump de se présenter par exemple dans une circonscription législative en Floride en 2022 et de devenir président de la Chambre des Représentants (speaker of the house), dans l’hypothèse où les Républicains regagneraient la majorité à la chambre basse.

En effet, la constitution prévoit que les seules sanctions que peut imposer le Sénat à l’issue du procès sont la destitution des fonctions (removal from office) et l’interdiction d’occuper de nouvelles fonctions publiques. On soulignera que ce n’est pas l’un ou l’autre, au choix des sénateurs, puisque ce n’est que si le Sénat a voté pour la destitution qu’il peut ensuite voter pour l’inéligibilité à vie. 

L’objectif principal des Démocrates n’était donc pas de destituer l’ex-président (ce qui était impossible) mais de bannir Donald Trump de la scène politique américaine, de l’envoyer en exil politique, le fait de l’avoir réduit au silence ne suffisant pas. La gauche américaine est bien consciente qu’elle a remporté les élections présidentielles de novembre 2020 dans des conditions douteuses, craignant par-dessus tout un retour en fanfare de Donald Trump.

« C’est extraordinaire. Le speaker Nancy Pelosi est responsable de 50 % des impeachments présidentiels de l’histoire des Etats-Unis. Le fait qu’ils « impeachent » l’ex-président alors qu’il n’est plus au pouvoir est la démonstration que les Démocrates sont absolument terrifiés par Donald Trump » (David Flint, professeur de droit constitutionnel émérite).

La procédure débute par un sérieux revers pour la gauche

Techniquement, le procès devant le Sénat a débuté le lundi 25 janvier 2021, lorsque la chambre des représentants a formellement saisi le Sénat de la mise en accusation de l’ex-président. Les neuf députés démocrates de la Chambre des Représentants jouant le rôle de procureurs, appelés « managers de la chambre » (house managers) marchèrent en procession solennelle dans les couloirs du Capitole pour rejoindre les locaux du Sénat, transportant avec eux l’acte de mise en accusation (articles of impeachment).

Or, le même jour, le 25 janvier, il était annoncé que le président de la cour suprême, le chief justice Roberts ne présiderait pas le procès. La constitution prévoit en effet que lorsque l’accusé est le président de la république, le procès est obligatoirement présidé par le juge le plus haut et le plus indépendant de la nation, à savoir le président de la cour suprême, nommé à vie. Ce dernier ne peut d’ailleurs se désister. Bien évidemment, dans ce cas, le juge de la cour suprême ne participe pas au vote des sénateurs, son rôle étant de s’assurer que les deux parties ont bien eu l’occasion de présenter de façon équitable leurs arguments respectifs devant les 100 sénateurs, qui font office de jurés. 

Or, l’accusé n’est plus président de la République. Si bien que le chief justice, en dépit des pressions des sénateurs démocrates, a tout simplement refusé de présider le procès. John Roberts déclara à cette occasion que lorsqu’il a pris ses fonctions à la Cour Suprême, il a juré de protéger la Constitution, ridiculisant par-là la procédure intentée contre Donald Trump… « Le Chief Justice ne préside pas. Ce n’est donc pas un procès en impeachment » (Jordan Sekulow, avocat de Donald Trump).

Un procès sans juge

Les Démocrates ont donc trouvé une solution de repli : après avoir hésité avec le vice-président Kamala Harris, il a été décidé finalement qu’il reviendra au sénateur démocrate (!) le plus âgé, Patrick Leahy (Vermont, 80 ans) de diriger le procès (de façon impartiale bien entendu !).

Les débats du procès ne sont donc pas conduits par un juge mais par l’un des jurés qui a voté en faveur du premier impeachment en février 2020 et qui a annoncé publiquement, à plusieurs reprises, qu’il voterait à nouveau en faveur de la condamnation de Donald Trump.

Patrick Leahy – qui est décrit par les sénateurs républicains comme étant une « lefty nasty brute » (une brute méchante de gauche), extrêmement partisan – va donc se retrouver dans la situation étrange où il devra à la fois présider le procès et voter en tant que juré…. « Cette ‘kangaroo court’ (tribunal autoproclamé, NDLR) est un travestissement de la justice, c’est de la vengeance politique, c’est honteux » réagissait alors le sénateur Rand Paul.

Le premier vote : seulement six sénateurs républicains souhaitent que le procès se poursuive

Les débats au Sénat débutèrent le 9 février 2021, pour traiter en premier lieu de la requête en classement sans suite (motion to dismiss) déposée par les avocats de l’ancien président, lesquels dénonçaient un abus de constitution, une procédure d’accusation illégale car menée sans enquête préalable, sans processus de discovery (c’est-à-dire sans recherche de preuves), sans délibération et  ce, en violation du droit de leur client à avoir un procès équitable garanti par le V° amendement de la Constitution.

Surtout, les avocats de Donald Trump ont souligné que le Sénat était incompétent pour juger une « private person », c’est-à-dire une personne qui n’est plus en fonction. Le droit est clair à ce sujet, si Donald Trump a commis une infraction pénale alors qu’il était encore président, il relève désormais des tribunaux pénaux réguliers maintenant qu’il n’est plus en fonction, les lois contre l’insurrection ou la sédition existant en droit pénal (du reste, les sanctions prévues applicables par les juges sont autrement plus sévères que la simple interdiction de se représenter à un mandat électif). « Il n’appartient donc pas au Sénat de se substituer à ces tribunaux » plaidèrent les avocats de la défense. En l’occurrence, aucun tribunal n’a été saisi de cette affaire, aucun procureur n’a lancé d’enquête contre Donald Trump à ce sujet, et pour cause, aucune infraction pénale n’ayant été commise par l’intéressé.

Autrement dit, le Sénat avait-il « jurisdiction », selon l’expression juridique anglaise (latine), c’est-à-dire le Sénat pouvait-il dire (diction) le droit (juris) en l’espèce ? 44 sénateurs républicains répondirent par la négative à cette question au soir du premier jour des débats. Seulement six sénateurs républicains sur cinquante auront souhaité que la procédure se poursuive. Il n’en demeure pas moins qu’une majorité des sénateurs (cinquante-six sur cent) a voté pour que le procès ait lieu, la Cour Suprême ne pouvant pas intervenir à ce stade pour constater l’illégalité du procès. Seul l’accusé pourrait éventuellement saisir la Cour Suprême après avoir été condamné, pour contester la compétence du Sénat.

Trump mis en accusation pour délit d’opinion

Les débats sur le fond (merits) débutèrent le 10 février. Les avocats de Donald Trump soulignèrent que le procès était anticonstitutionnel car il revenait à remettre en cause le 1er amendement de la Constitution, qui garantit la liberté d’expression, leur client étant poursuivi en réalité pour délit d’opinion. Aux yeux des Démocrates, Donald Trump n’avait donc pas le droit d’exprimer son mécontentement face à la fraude électorale constatée. Selon eux, il n’avait donc pas le droit d’utiliser le slogan « stop the steal » (arrêter le vol – des élections) ou « fight to get back the country » (se battre pour récupérer le pays). 

Or, le libre discours politique est défendu par la Constitution. Peu importe à vrai dire si les soupçons de fraude électorale sont avérés ou non. Le droit américain prévoit en effet qu’un homme politique ne peut pas être sanctionné pour professer des mensonges. « Un mensonge est autant protégé que la vérité », précise le professeur de droit constitutionnel Alan Derschowitz. « Dire qu’il y a eu de la fraude est une opinion et une opinion est protégée », précise-t-il. 

« Ce faux impeachment constitue une sérieuse menace contre la liberté d’expression pour les responsables politiques des deux partis. Le Sénat devra faire extrêmement attention au précédent que peut représenter cette affaire », conclut Michael van der Veen, l’un des avocats de Donald Trump.

Les paroles du Président ont-elles incité à la violence ?

Le droit applicable s’agissant de l’infraction d’incitation à la violence ou à l’insurrection est strict. Il a certes été reconnu par la jurisprudence depuis 1950 que le fait de prononcer un discours peut constituer une incitation à la violence. Mais pour obtenir la condamnation de l’auteur du discours, il est impératif de démontrer que des instructions directes ont été données à son auditoire, l’invitant à adopter des comportements illégaux. Cette jurisprudence est cruciale car, à défaut, n’importe quel auteur de discours passionné pourrait être déclaré pénalement responsable des actions illégales d’autrui.

En l’occurrence, aucun des écrits (tweets reçus par 85 millions de followers) ou des paroles (discours) de Donald Trump n’a jamais incité à la violence préalablement ou au cours de cette journée du 6 janvier. Plus précisément, à la fin de son discours du 6 janvier, Donald Trump prit soin de recommander à la foule de marcher vers le Capitole « pacifiquement » et de façon patriotique, en respectant les hommes en uniforme, afin de « faire entendre votre voix », chacune de ces actions étant parfaitement légale.  « Il est clair que le discours de Donald Trump ne correspond pas à la définition juridique de l’incitation » conclut l’avocat de la défense devant les sénateurs.

« Dans tous les cas, Trump est coupable »

Les procureurs étant dans l’incapacité de démontrer l’incitation expresse à l’insurrection dans les propos écrits ou oraux de Donald Trump, ils arguèrent que Donald Trump était bien conscient que ses propos pourraient néanmoins être perçus par son auditoire comme une invitation à l’insurrection (concept curieux de code words). 

Plus particulièrement, avancèrent les Démocrates, quand le président dit à la foule de se rendre « pacifiquement » au Capitole, en réalité il voulait dire qu’il fallait tout détruire. « Avec ce genre d’argument, on ne peut pas gagner. Si vous dites « soyez violents », vous êtes coupable et si vous dites « soyez pacifiques », vous êtes coupable également », commenta Rudy Giuliani dans les médias.

Des procureurs amateurs aux mains vides

Les travaux des procureurs Démocrates surprirent par leur manque de rigueur et de crédibilité. « La présentation faite par les managers de la chambre était insultante et absurde », déclara le sénateur Lindsey Graham. « Les managers de la chambre ont manipulé les preuves. Devant un tribunal, ils seraient sanctionnés par le juge », déclara à la tribune David Schoen, l’un des avocats de Donald Trump.

« Ils insultent le Sénat en montrant des preuves qui n’auraient pas été admissibles devant un tribunal. C’est une présentation sélective de preuves qui n’aurait pas été acceptée par un juge, ce n’est pas un procès conduit de façon juste et équitable », renchérit le professeur de droit Harry Hutchison. Le professeur faisait référence notamment à la présentation d’articles de presse relatant de fausses informations (que les procureurs ont dû piteusement retirer de leur dossier en cours d’audience), à des modifications de date et du contenu de tweets présentés comme preuves à charge ou à des montages vidéos grossiers réalisés par une société de production d’Hollywood sans aucune valeur probatoire, présentés par les procureurs aux sénateurs. 

Ainsi, le procureur démocrate Eric Swalwell fit l’erreur de mentionner comme preuve de la sédition de Donald Trump une conversation téléphonique qu’aurait eue Donald Trump avec le sénateur Mike Lee le 6 janvier au cours de laquelle le président aurait fait pression sur le sénateur pour qu’il conteste les votes des grands électeurs. Pas de chance pour le procureur, le sénateur en question faisait partie des jurés présents. Ce dernier interrompit la présentation du procureur, clamant que cette histoire n’était qu’un mensonge grossier inventé par les médias. Le procureur dut reconnaître qu’il s’était basé sur un article de presse, lui-même fondé sur une source anonyme… Cet incident révéla la légèreté des procureurs ; depuis quand en effet les articles de journaux constituent-ils des sources de preuves ? « C’est comme si vous aviez cherché vos preuves sur Google » rétorqua l’avocat de la défense. 

Pas de chance non plus avec le tweet (retwitté par Donald Trump) de Jennifer Lynn Lawrence (organisatrice de la manifestation du 6 janvier) que les procureurs ont modifié avant de le présenter aux jurés comme preuve de conspiration, transformant le mot « calvaire » (calvary en anglais ») en « cavalerie » (cavalry en anglais) pour faire croire que des milices paramilitaires se préparaient à envahir le Capitole. La modification n’a pas échappé aux avocats de la défense, dénonçant une manœuvre grotesque. Rudy Giuliani résuma bien la situation en déclarant : « je pense que l’argument des Démocrates est de jouer sur l’émotion et d’espérer que les sénateurs sont stupides ». 

Donald Trump n’a ni planifié ni incité l’invasion du Capitole

Les procureurs n’auront donc pas réussi à démontrer l’incitation, se contentant de constater que l’ex-président avait menti sur le vol des élections (ce qui n’est d’ailleurs pas démontré non plus, le sujet de la fraude électorale restant encore ouvert à ce stade, notamment devant les tribunaux) et que le Capitole fut le théâtre de violences inacceptables mais sans pouvoir établir de lien de causalité.

Certes, l’invasion du Capitole constitue une infraction pénale. Les personnes ayant pénétré dans l’enceinte de l’immeuble ont bel et bien été arrêtées (plus de 200 d’entre elles à ce jour). Elles sont en attente de leur procès et seront vraisemblablement condamnées à de lourdes peines de prison. Mais les procureurs n’auront pas démontré aux sénateurs que Donald Trump avait planifié ou organisé cette invasion du Capitole ou qu’il avait ordonné à la foule de commettre ces infractions.

Des Démocrates qui excusent et soutiennent les émeutiers

L’accusation d’incitation à l’insurrection à l’encontre de Donald Trump est d’autant plus surprenante provenant de la gauche américaine, qui a ouvertement soutenu les manifestants de l’année dernière, les Démocrates à la chambre des représentants ayant par exemple refusé d’adopter une résolution condamnant les émeutes raciales de l’été 2020. 

Pour illustrer le propos, les avocats de Donald Trump montrèrent aux jurés d’innombrables vidéos de personnages politiques démocrates incitant à la violence dans le contexte des émeutes, à commencer par Nancy Pelosi (qui, on s’en souvient, a déchiré ostensiblement devant les caméras le discours de l’Union du président en février dernier), ayant déclaré : « je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus d’émeutes partout dans le pays, peut-être y en aura-t-il ». On rappellera que les émeutiers du printemps et de l’été derniers ont tué 25 Américains, dont plusieurs officiers de police. Mais pour le député Jerry Nadler, « la violence d’Antifa est un mythe ». Des médias classés à gauche en rajoutent, Chris Cuomo, le propre frère du gouverneur démocrate de New York, journaliste vedette de CNN, déclarant : « qui a dit que les manifestations devaient être pacifiques ? »

Le sénateur démocrate de New York Chuck Schumer a, quant à lui, annoncé à la télévision : « je suis fier de New York et je suis fier des émeutes ». Ou encore Kamala Harris, louant les émeutiers qui venaient de détruire un commissariat de police à Minneapolis au nom de « la justice sociale », déclarait en juin 2020 : « C’est un mouvement, je vous le dis. Faites attention, parce qu’ils ne vont pas arrêter. Ils ne vont pas arrêter jusqu’au jour de l’élection en novembre et ils ne s’arrêteront pas après l’élection. Et ils ne devraient pas s’arrêter… ». Cela ressemble à s’y méprendre à de l’incitation à l’insurrection. Imaginons un instant si ces paroles avaient été celles du président Trump lors de son discours du 6 janvier… Kamala Harris ne s’est d’ailleurs pas contentée de seules paroles puisqu’elle fut très active dans la levée de fonds pour permettre aux émeutiers de BLM et d’Antifa arrêtés par la police de payer leur caution afin de sortir de prison… Sans parler des innombrables caciques de gauche (maires, gouverneurs, députés sénateurs ainsi que Joe Biden et Kamala Harris eux-mêmes) qui ont appelé à diminuer drastiquement le financement de la police (defund the police). 

Des démocrates qui incitent constamment à la violence contre les « déplorables »

Depuis l’élection de Donald Trump en 2016, la gauche américaine n’a fait preuve d’aucune retenue à l’égard des élus et des électeurs républicains (qualifiés de « basket of deplorables » – un « ramassis de gens lamentables » – par Hillary Clinton elle-même), relayés en cette entreprise par les médias. Par exemple, Don Lemon, journaliste vedette de CNN, recommandait récemment de « déprogrammer » les électeurs de Trump. Ainsi, le sénateur démocrate Chuck Schumer n’a pas hésité à menacer directement deux juges républicains de la Cour Suprême en hurlant, dans un micro lors d’une manifestation tenue devant la cour suprême : « Vous Gorsuch, vous Kavanaugh, vous allez payer pour ce que vous avez fait (ndlr à propos du droit à l’avortement). Vous n’avez pas idée de ce qui va vous frapper si vous poursuivez avec ces terribles décisions ».

La députée de gauche Maxim Waters a, quant à elle, été filmée en train d’haranguer une foule de partisans, les incitant à violenter les membres du gouvernement de Trump rencontrés dans l’espace public.  

Sans oublier Joe Biden lui-même qui a déclaré fièrement à plusieurs reprises devant les caméras, en parlant de Donald Trump : « Si nous étions au collège, je le prendrais derrière la salle de gym et le tabasserais tant que je pourrai ».

Force est de constater que ces menaces à répétition contre les électeurs de Donald Trump finissent par avoir un impact très concret sur la population, à tel point qu’il est devenu impossible à un supporter de Donald Trump de s’afficher en public – en tout cas dans les villes démocrates des Etats-Unis – sous peine de subir immédiatement divers types de violence. On se souvient par exemple des scènes étonnantes de haine contre Rand Paul à la sortie de la Maison Blanche au soir de la convention républicaine en août dernier. « Ils hurlaient qu’ils allaient nous tuer. On ne peut plus aller dehors maintenant, c’est devenu trop dangereux pour nous » témoigna-t-il. « Un tel niveau de haine contre les républicains a des répercussions. Ce sont les Démocrates qui poussent les Américains à la guerre civile », remarque Mike Huckabee (ancien gouverneur de l’Arkansa).

Un procès sans témoin

Les procureurs sentant que leur affaire prenait une mauvaise tournure, tentèrent un coup de bluff au matin du dernier jour des débats en demandant aux sénateurs de les autoriser à appeler des témoins. Les sénateurs ayant voté à 55 contre 45 pour autoriser l’appel à témoins, les procureurs ont alors proposé d’auditionner Jaime Herrera Beutler, députée républicaine de la Chambre des Représentants (qui a voté en faveur de la mise en accusation de Donald Trump) car elle aurait entendu un appel téléphonique intervenu le 6 janvier dernier entre Donald Trump et un autre député républicain, Kevin McCarthy, au cours duquel le président lui aurait dit que la foule du 6 janvier était énervée en raison de la fraude électorale.

En réponse, la défense de Donald Trump menaça d’appeler à témoin une centaine de personnes (principalement parmi les personnes arrêtées, pour comprendre quelles furent leurs motivations réelles dans l’attaque du Capitole) ainsi que des personnages politiques comme Nancy Pelosi ou Kamala Harris. Il s’agissait par exemple d’interroger Nancy Pelosi, en tant que maire du Capitole, responsable ultime de la sécurité du Capitole, pour savoir si elle avait reçu des informations l’alertant avant le 6 janvier de possibles violences contre le Capitole préparées par les manifestants.

Ceci mit immédiatement fin aux velléités des Démocrates d’appeler des témoins, ouvrant la porte au vote final des sénateurs sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé.

Une majorité renforcée des 2/3 des sénateurs nécessaire

La Constitution prévoit qu’une majorité renforcée des deux tiers des 100 sénateurs en faveur de la destitution du président était nécessaire. Les cinquante sénateurs démocrates devaient donc être rejoints par au moins 17 des cinquante sénateurs républicains. Il faut reconnaître que la situation des sénateurs républicains n’était pas facile. Un vote en faveur de l’acquittement serait nécessairement exploité par la gauche lors des prochaines élections sénatoriales alors qu’un vote en faveur de la condamnation serait synonyme de répudiation par l’électorat dur de droite.

Donald Trump à nouveau acquitté

Finalement, au soir du 13 février 2021, l’ex-président fut acquitté, seulement 57 sénateurs votant en faveur de sa condamnation alors que 43 sénateurs votaient en faveur de son acquittement. La majorité des deux tiers n’était pas atteinte, dix voix manquant pour une condamnation. Donald Trump devint alors le premier président dans l’histoire des Etats-Unis à faire l’objet deux fois d’un impeachment et à être acquitté deux fois (en un an !).

Parmi les sept sénateurs républicains qui ont rejoint le camp démocrate, on compte deux sénateurs en fin de carrière qui ne se représenteront pas (Burr et Toomey, qui, paradoxalement, avaient reconnu au préalable par vote que le procès violait la Constitution) ainsi que l’éternel ennemi de Donald Trump, Mitt Romney, malheureux prétendant à la Maison Blanche en 2012 contre Barack Obama, qui avait déjà voté en faveur de la condamnation de Donald Trump en février 2020. Il n’est pas évident dans ces conditions que Romney soit réélu au Sénat lorsqu’il se représentera en 2024 dans l’Utah.

Quarante-trois sénateurs républicains (que Nancy Pelosi s’empressa d’insulter, les qualifiant de « sénateurs lâches ») ont donc constaté que Donald Trump ne pouvait pas être condamné car :

  • Le Sénat était incompétent si bien que le procès était inconstitutionnel ;
  • L’accusé n’avait pas eu le droit à un procès équitable ;
  • Une condamnation violerait le droit d’expression protégé par la constitution ;
  • Le Président n’avait commis aucune infraction.

Ces sénateurs n’auront donc pas été sensibles à l’argument final des procureurs selon lequel, dans le cadre d’un procès en destitution au Sénat, c’est la responsabilité orale de l’accusée qui est jugée et non sa responsabilité juridique et qu’ainsi « le droit et ce que prévoit la Constitution ne s’appliquent pas… ».

Donald Trump résumait bien la situation dans son message de remerciement suite à son acquittement :

« C’est un triste commentaire sur notre époque qu’un parti politique américain se voit accorder un laissez-passer gratuit pour dénigrer l’Etat de droit, diffamer les forces de l’ordre, excuser les émeutiers et transformer la justice en un outil de vengeance politique en persécutant, annulant et supprimant toutes les personnes et points de vue avec lesquels ils ne sont pas d’accord »

Vers un impeachment de Joe Biden et de Kamala Harris en 2022 ?

Les Démocrates ont donc établi un précédent historique en 2019 et en 2020 : il est désormais possible d’intenter un procès en destitution contre le président pour n’importe quel motif. Les Républicains, qui ont bien reçu le message, n’auront pas attendu longtemps pour réagir. Dès le lendemain de l’inauguration de Joe Biden, Marjorie Taylor Green, députée républicaine à la Chambre des Représentants déposa un projet de résolution prononçant l’impeachment de Joe Biden pour abus de pouvoir, faisant référence au trafic d’influence en Ukraine lorsqu’il était le vice-président de Barack Obama, en charge des relations avec l’Ukraine.

Bien évidemment, cette procédure ne pourra pas aboutir tant que la droite est minoritaire à la chambre. Mais un changement de majorité pourrait intervenir par exemple aux prochaines élections législatives de mi-mandat de novembre 2022. On imagine déjà la scène, Donald Trump, nouveau speaker of the house, responsable de la conduite de la procédure de destitution de Joe Biden, présenté pour l’occasion comme un criminel ayant volé l’élection… Qui plus est, il est désormais établi que la Chambre n’est même plus obligée de respecter les droits de la défense (et peut même recourir à des articles de presse comme preuves à charge…). 

Qui plus est, les Républicains pourraient également intenter une procédure de destitution contre la vice-présidente de Kamala Harris pour incitation à l’insurrection, comme le précisa le sénateur Lindsey Graham le lendemain du verdict : « Je pense que ce procès en destitution était anticonstitutionnel. Je condamne les événements du 6 janvier mais les procédés utilisés pour destituer le Président étaient un affront à la règle de droit. Nous avons ouvert la boîte de Pandore pour de futurs présidents. Si l’on utilise ce modèle, je ne sais pas comment Kamala Harris ne sera pas destituée si les Républicains reprennent la Chambre, car elle a fait sortir de prison des émeutiers et l’un d’entre eux est retourné manifester dans la rue et a fracassé la tête d’une personne ».

Vers un Impeachment de Barack Obama ?

Les Démocrates ont également montré avec ces deux précédents qu’il est désormais possible de conduire une procédure en destitution contre des anciens élus, c’est-à-dire contre des personnages politiques qui ne sont plus en fonction. A ce titre, les Républicains ne cachent pas qu’ils songent d’ores et déjà à intenter une action en destitution contre les anciens présidents démocrates, à commencer par Barack Obama, au titre de l’ensemble des scandales ayant marqué ses deux mandats. C’est ce qu’a proposé le sénateur républicain John Cornyn, le 23 janvier 2021, si son parti remporte la majorité à la fois à la Chambre des Représentants et au Sénat en 2022. 

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