Géopolitique des relations germano-turques : le point de vue de l’Allemagne

Note d'actualité - relations germano-turques
Pierre-Emmanuel Thomann - contributeur CAP ISSEP

Pierre-Emmanuel Thomann

Contributeur CAP

Docteur en géopolitique et professeur à l'ISSEP

Introduction : historique des relations germano-turques

L’histoire des relations entre l’Allemagne et la Turquie trouve en partie ses racines dans les rapports noués entre l’Empire allemand et l’Empire ottoman au XIXème siècle[1]. Si les Turcs font volontiers référence à la longue histoire[2], les Allemands ne mettent pas en avant cet héritage historique[3] à cause de la rupture de 1945 et de leur doctrine de retenue diplomatique.

Les intérêts géopolitiques des Allemands restent encore souvent implicites afin de ne pas être accusés de renouer avec une politique de puissance puisant ses racines dans la période d’avant 1945 quand, à l’inverse, la puissance est revendiquée par les Turcs ou encore les Français, Britanniques, Américains et Russes. Pour éviter les démonstrations de puissance, les Allemands privilégient la défense de leurs intérêts au travers de l’OTAN et l’UE. C’est à travers ces structures qu’il faut aussi comprendre et appréhender les relations germano-turques. Les relations bilatérales de ces deux pays sont cependant très riches, y compris en controverses, et la direction qu’elles prendront aura une influence importante sur le projet européen.

A la fin du XIXème siècle, le chancelier Bismarck avait pour objectif d’éviter l’émergence d’alliances hostiles à l’Allemagne. C’est pourquoi l’Allemagne entretenait des liens d’équilibre avec toutes les puissances en vue d’isoler la France et s’abstenait de participer de manière soutenue à l’agrandissement d’un empire colonial en Afrique et en Asie, contrairement à la France et à la Grande-Bretagne. Toutefois, l’Allemagne a changé de posture après le départ de Bismarck et a décidé de se lancer dans une politique d’expansion pour contrer les empires déjà constitués. L’empereur Guillaume II s’est orienté vers une Weltpolitik (Politique mondiale de puissance) pour donner à l’Allemagne « une place au soleil ». L’unification allemande de 1871 a déséquilibré le système européen du concert des nations et a provoqué une polarisation des alliances entre la Triplice (Allemagne-Autriche-Hongrie-Italie) et l’Entente (France-Angleterre-Russie)[4]. La crainte en Europe de l’émergence rapide de la puissance allemande isole l’Allemagne qui se voit barrer la route dans toutes les directions. C’est dans ce contexte que l’Allemagne, qui se voit limitée dans l’espace pour la course aux colonies, se tourne vers l’Empire ottoman qui devient sa sphère d’intérêts politiques et économiques[5] en concurrence avec la Grande-Bretagne et la France (aussi actives dans l’Empire ottoman). Cette nouvelle posture lui permettait de se positionner pour le partage des territoires dans le cas où l’Empire ottoman venait à s’effondrer[6].

Carte n°1 : Plan pangermaniste

Carte 1 Thomann

Un parallèle intéressant peut être fait avec la situation actuelle : à partir du moment où l’Allemagne de Guillaume II considère que la Russie devient la menace principale, l’Allemagne s’est rapprochée de l’Empire ottoman dans le cadre de l’Alliance des puissances centrales, afin d’élargir sa marge de manœuvre et échapper à l’encerclement et la guerre sur deux fronts. La relation germano-russe s’est fortement dégradée depuis la crise ukrainienne en 2014 et la relation germano-turque prend logiquement plus de poids dans le cadre de la nouvelle guerre froide entre l’Occident et la Russie mais aussi l’abandon du partenariat stratégique entre l’Allemagne et la Russie (énergie contre modernisation) qui était porté par la nouvelle Ostpolitik en 2007. La Turquie est de facto valorisée par l’Allemagne[7] pour son rôle de pivot stratégique à l’OTAN et de corridor énergétique pour diversifier les sources d’énergie, sans toutefois remettre en cause les importations de gaz et pétrole russe en Allemagne (et le soutien à Nord-Stream II du gouvernement de coalition d’Angela Merkel).

Après la défaite de 1918, les puissances centrales, allemandes et ottomanes, furent dissoutes. Il n’y aura pas d’alliance bilatérale germano-turque par la suite, ni sous la République de Weimar (1918 à 1933), mais sous le troisième Reich (1933 à 1945), l’Allemagne nazie a cependant signé un pacte de non-agression avec la Turquie en 1941 qui dura quatre ans jusqu’en 1945[8].  

Le système bipolaire (Occident contre l’URSS) s’est ensuite imposé lors de la guerre froide. L’Allemagne et la Turquie sont devenues toutes deux des membres de l’OTAN (Turquie en 1952 comme la Grèce et la RFA en 1955) au sein du camp occidental contre l’URSS. La disparition de l’URSS en 1991 a modifié la configuration géopolitique mondiale. L’Allemagne et la Turquie sont restées membres de l’OTAN et la Turquie est candidate à l’adhésion à l’Union européenne depuis 1999. Toutefois, les nombreuses crises internationales dans le cadre de l’émergence du monde multipolaire et les inflexions de la posture géopolitique des deux pays compliquent de plus en plus la relation germano-turque, tant au niveau bilatéral qu’au niveau des alliances de l’OTAN et de l’UE.    

Les relations germano-turques ont surtout été influencées depuis lors par les relations multilatérales au sein de l’OTAN mais aussi par l’Union européenne. La Turquie ayant accéléré son arrimage à l’Europe avec une première demande d’association à la Communauté économique européenne dès 1959, période à partie de laquelle une immigration de travailleurs turcs en Allemagne modifia les relations bilatérales germano-turques.  

Il est important d’examiner les relations germano-turques dans leurs permanences ou inflexions historiques, car celles-ci auront un impact important sur l’Europe dans le contexte de l’émergence du monde multipolaire, de la fragmentation de l’Union européenne mais aussi de la réémergence des anciennes problématiques géopolitiques.

Sous la présidence du président turc Recep Tayyip Erdoğan depuis 2014, la doctrine géopolitique néo-ottomane[9] de la Turquie nous rappelle que si les idéologies changent, les tropismes géopolitiques perdurent. Il en est de même dans une certaine mesure avec l’évolution de la politique étrangère allemande vis-à-vis de la Turquie, de manière plus implicite.

Les Allemands ne se réfèrent pas à d’anciennes représentations géopolitiques qui datent des empires allemands et turcs pour justifier leur posture. Le pangermanisme ne constitue plus aujourd’hui le projet géopolitique de l’Allemagne. Elle se positionne dorénavant comme puissance centrale et puissance économique dans l’espace euro-atlantique en expansion vers l’Eurasie, dont la Turquie est l’un des pivots. La posture de médiation et d’équilibre prise par le gouvernement allemand d’Angela Merkel dans le cadre des rivalités entre la Turquie et la France (notamment au sujet de la Grèce et Chypre), pourrait faire penser à la doctrine de Bismarck d’équidistance entre puissances. Toutefois les rapports de force ont changé. L’Allemagne avait un ascendant important sur la Turquie à l’époque de Bismarck, tandis qu’aujourd’hui, la Turquie est en mesure d’exercer des pressions importantes sur l’Allemagne, notamment sur le plan migratoire, et d’influer sur la politique intérieure allemande. Si la Turquie possède encore une valeur stratégique pour l’Allemagne, sa diplomatie est donc plus contrainte et moins offensive que celle de la France.  

Le tropisme allemand vers l’Eurasie incluant la Turquie rappelle que cet espace est pour l’Allemagne d’aujourd’hui, comme pour l’empire allemand au XIXème siècle mais selon des modalités différentes, un espace d’expansion dans la mondialisation qui se transforme de plus en plus en lutte de répartition des espaces géopolitiques[10].   

Les relations germano-turques depuis la fin de la guerre froide

Pour comprendre les relations géopolitiques germano-turques actuelles, il est utile de se pencher sur les différentes stratégies de l’Allemagne dans les affaires internationales depuis la rupture causée par la défaite de 1945 mais aussi depuis la fin de la guerre froide et la réunification allemande. L’Allemagne se perçoit comme une « puissance centrale » (qui découle de sa position au milieu de l’Europe et lui confère un rôle décisif dans le projet européen), une « puissance économique » (qui s’exerce en alternative à la puissance militaire) mais aussi comme une « puissance civile » (qui exerce son influence au travers des normes et des interdépendances économiques). Ces différentes représentations du monde se superposent, se complètent mais aussi se contredisent. Elles sont autant de clés pour comprendre les fondements de cette relation[11]. Dans le cadre des évolutions du système international après la disparition de l’URSS, on note un maintien, bien qu’en érosion, de la proximité stratégique entre l’Allemagne et la Turquie, en parallèle d’un éloignement idéologique de plus en plus palpable. Et ce, même si l’Allemagne a adopté une posture de modération face aux provocations turques, notamment à la suite des pressions exercées par Recep Tayyip Erdoğan avec l’arme migratoire depuis le pacte migratoire de 2016 signé entre l’UE et la Turquie. Nous y reviendrons.   

La position stratégique de la Turquie comme pilier de l’OTAN et rempart contre la Russie

Un diagnostic préalable du jeu des puissances vis-à-vis de la Turquie dans le contexte d’une fragmentation géopolitique et d’une plus grande fluidité des alliances est nécessaire pour comprendre la configuration actuelle. 

Carte n°2. La Turquie : allié ambigu de l’OTAN – Défi géopolitique croissant pour l’UE

Carte 2 Thomann

La perception de sécurité des Allemands se concentre sur un arc décroissant de la Baltique aux Balkans avec des prolongements jusqu’en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. D’où le tropisme oriental de l’Allemagne en termes de priorités pour la stabilisation de sa proximité géographique. La perception des Français est inverse de l’Afrique du Nord/Méditerranée vers la Baltique.

Depuis 1945, l’Allemagne est marquée avant tout par son ancrage géopolitique à l’Ouest, c’est-à-dire son alliance étroite avec les Etats-Unis, d’où l’importance de l’OTAN mais aussi de l’UE comme sous ensemble de l’espace euro-atlantique[12]. Elle dépend des Etats-Unis pour sa protection nucléaire dans le cadre de l’OTAN. L’Allemagne, comme les autres Etats membres de l’OTAN, perçoit la Turquie comme un rempart géopolitique sur son flanc sud-est vis-à-vis de la Russie et ce, en synergie avec la stratégie des Etats-Unis car la Turquie détient les détroits (les Dardanelles et le Bosphore) entre mer Noire et mer Méditerranée.

Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis ont opéré un retrait du théâtre européen et eurasien qui n’est qu’apparent. Il n’était plus question d’opérations militaires comme en Ex-Yougoslavie ou de soutien explicite à un changement de régime comme en Ukraine. Tout en poursuivant leur objectif de contrer la Russie, ils se sont éloignés des premières lignes de front en laissant d’autres États occuper l’espace géopolitique en fonction des circonstances et des zones géographiques pour réduire le poids de leurs adversaires. Ils soutiennent donc des États-pivots comme la Pologne et la Turquie et des États-fronts comme l’Ukraine sur la ligne de fracture avec la Russie qui va du Nord-est de l’Europe jusqu’en mer Méditerranée au sud, mer Noire et Caucase au sud-est.

L’absence de fermeté envers la Turquie de la part des États-Unis, de l’OTAN et de l’UE renforce l’hypothèse d’un assentiment implicite des États-Unis et de ses alliés à l’idée de préserver le rôle de pivot de la Turquie comme gardienne des détroits turcs et contrepoids géopolitique à la Russie dans le Caucase, la mer Noire et au Moyen-Orient. L’objectif principal de cette manœuvre est de repousser la Russie dans ses terres continentales, d’où la complaisance vis-à-vis de l’expansionnisme turc. Dans le Caucase du Sud, comme en Syrie, la Turquie fait donc le travail que les États-Unis ne veulent plus faire en première ligne. L’objectif géopolitique implicite est de réorienter l’expansion géopolitique de la Turquie vers le Caucase et l’Asie centrale contre la Russie et la détourner de la Méditerranée orientale et du théâtre européen pour endiguer la fissuration de l’OTAN.

La Turquie a donc pour rôle implicite, au sein de l’Alliance atlantique, d’éviter une victoire totale du gouvernement syrien de Bachar el-Assad et de la Russie en Syrie, d’où le soutien des États-Unis à la Turquie à Idlib. La Turquie est aussi intervenue en Libye contre le général Haftar soutenu par la Russie. Enfin à l’occasion du conflit au Haut-Karabagh, la Turquie cherche à se renforcer dans le Caucase du Sud[13]

L’Iran, rival de la Turquie et adversaire des États-Unis et d’Israël, a une position proche de celle de la Russie, comme en Syrie, pour soutenir Bachar el-Assad contre l’État islamique, et faire contrepoids à la Turquie, les États-Unis et Israël dans le contexte régional.

L’élection de Joe Biden ne remettra pas en cause ces postures géopolitiques, mis à part un narratif valorisant les alliances, mais à la condition qu’elles soient en phase avec leurs priorités géopolitiques. On assiste au retour à la doctrine « America First » de manière plus implicite que lors de la présidence Trump.  

Dans ce contexte où la Turquie détient un rôle stratégique dans l’Alliance atlantique pour contrer la Russie, la crainte de l’Allemagne, partagée par les Etats-Unis et les Etats membres de l’OTAN, est un rapprochement plus marqué de la Turquie et de la Russie.

La Russie et la Turquie, bien que leur relation soit marquée par la rivalité, se sont rapprochées pour gérer leurs différends ou convergences géopolitiques en raison de leur proximité géographique. La Russie et la Turquie ont ainsi formé un condominium en Syrie en excluant ainsi les prétendants au monde unipolaire (les États-Unis et leurs alliés proches) qui s’arrogeaient auparavant le droit d’imposer leurs solutions à toutes les crises à l’échelle globale. Dans un monde multipolaire, on observe donc un processus de régionalisation des crises où les acteurs régionaux rivalisent mais se concertent aussi. La Turquie a aussi acquis des systèmes d’armes russes pour faire pression sur ses alliés au sein de l’Alliance atlantique.

Afin de ne pas renforcer le scénario d’un rapprochement russo-turc sur la durée, une remise en cause de l’appartenance de la Turquie à l’OTAN de la part de l’Allemagne ou des sanctions fortes de la part de l’Union européenne, comme l’a demandé la France, ont peu de chances d’aboutir. Cette priorité explique que l’Allemagne cherche à éviter une escalade malgré les crises à répétition non seulement entre l’Allemagne et la Turquie, mais aussi entre les alliés de l’Allemagne comme la Grèce, Chypre et la France avec la Turquie. Elle se voit ainsi accusée par la France de faire le jeu de la Turquie expansionniste au nom de la primauté des intérêts de l’Allemagne[14]. L’Allemagne a aussi hérité depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale d’une diplomatie basée sur la retenue. Les Allemands mettent aussi en avant la patience stratégique, car ils estiment que la Turquie est malgré tout un facteur de stabilité dans une région volatile[15]. Le risque islamiste, que fait peser la Turquie sur le Sahel en Afrique, zone d’intérêt prioritaire pour les Français, n’est pas perçu de la même manière par les Allemands qui soupçonnent les Français de défendre leurs propres intérêts nationaux en Libye et dans les anciennes colonies. Ces malentendus sont très anciens.

L’Allemagne cherche à éviter la formation d’alliances hostiles qui diviseraient le continent européen jusque dans ses prolongements eurasiens (Turquie comprise), d’où sa volonté d’arrimer la Turquie à l’Europe et ce, bien que l’élargissement de l’UE à la Turquie soit aujourd’hui considéré comme une impasse par la majorité des Allemands[16]. L’Allemagne est aussi en concurrence avec la Turquie dans les Balkans et les Allemands soutiennent de manière constante l’élargissement de l’UE dans les Balkans occidentaux[17], avec le soutien de l’Union européenne. Cet élargissement de l’UE aux Balkans est destiné à contrer l’influence de la Russie et de la Turquie. Ce même narratif a également été repris par Emmanuel Macron, même si traditionnellement la France a été toujours plus rétive à l’élargissement, avant de céder chaque fois face à l’Allemagne.

Depuis l’ancrage à l’Ouest promu par le premier Chancelier de la République Fédérale, Konrad Adenauer après la défaite de 1945, l’Allemagne a choisi l’occidentalisation par l’adoption de la démocratie libérale. La doctrine centrale de la politique étrangère de l’Allemagne reste marquée jusqu’à aujourd’hui par le désir d’occidentaliser les peuples toujours plus à l’Est jusque dans la profondeur eurasienne, Turquie et Russie comprises. Elle estime que ce processus est nécessaire pour la stabilisation de ces espaces en exportant la démocratie libérale, à l’image de sa propre expérience. La Turquie a ainsi été perçue au début des révolutions arabes en 2011 comme un modèle de démocratie musulmane et a reçu le soutien de l’Allemagne en synergie avec l’UE et l’OTAN pour les grandes orientations de sa politique étrangère.

Toutefois, les révolutions arabes ont modifié l’environnement stratégique de la Turquie et dans la foulée des crises en Syrie et en Libye, les intérêts ont commencé à diverger de manière plus prononcée entre la Turquie et les Occidentaux. A l’occasion de la crise en Syrie, la Turquie a soutenu les groupes islamistes sunnites[18] en vue de provoquer, sans succès, un changement de régime en juillet 2016[19]. La Turquie a alors accentué sa mutation d’une diplomatie guidée par la doctrine du « zéro problème avec les voisins »[20] vers une défense de plus en plus agressive de ses intérêts selon sa doctrine néo-ottomane, y compris au moyen de l’islam politique, le président turc étant proche des Frères musulmans. Avec les interventions militaires de la Turquie en Syrie[21], en Libye, au Haut-Karabagh en soutenant l’Azerbaïdjan, et sa doctrine d’expansion en Méditerranée orientale (plan bleu) pour avoir accès aux réserves de gaz, mais aussi le chantage migratoire aux frontières grecques, les relations germano-turques n’ont cessé de se dégrader sans pour autant provoquer de rupture[22].

Face aux rivalités croissantes entre la Turquie, la Grèce et Chypre pour l’accès aux ressources gazières dans les zones économiques exclusives aux contours encore disputés en Méditerranée orientale, les Etats membres de l’UE ont adopté des postures différentes. Les Etats favorisant la médiation avec la Turquie sous le leadership de l’Allemagne ont été les plus nombreux, tandis que la France, en soutien à la Grèce et Chypre, souhaitait d’abord instaurer un rapport de force avant de négocier. L’Allemagne a ainsi privilégié une posture de médiatrice, au lieu de se ranger clairement derrière ses partenaires de l’UE[23]. Comme tous ces Etats font partie de l’OTAN, l’Allemagne, en synergie avec les Etats-Unis sous la présidence de Donald Trump, a eu pour priorité le maintien des relations au sein de l’OTAN à une solidarité renforcée au sein de l’UE. Cela a provoqué un début de polarisation au sein de l’UE et de l’OTAN : le projet de « Pax Mediterranea », initié par la France, à Porticcio en Corse le 10 septembre 2020, lors d’un forum informel des pays du Sud de l’UE, avec les Italiens, les Espagnols, les Grecs, les Chypriotes et les Maltais[24], a pour objectif l’endiguement de la Turquie.

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a depuis proposé à l’Allemagne[25] et à l’Union européenne une désescalade. Cette inflexion est probablement davantage due à l’arrivée du président américain Joe Biden qu’aux sanctions symboliques de l’Union européenne. Cette évolution, malgré le scepticisme qu’elle rencontre, renforce pour l’instant la posture allemande qui consiste à éviter un rapport de force frontal avec la Turquie. 

Le processus d’élargissement de l’UE à la Turquie de plus en plus compromis

L’idée d’européaniser la Turquie pour lui donner un rôle de pont entre Occident et Islam fut un argument important jusqu’à récemment au sein de l’UE pour justifier l’élargissement de l’UE à la Turquie, en plus de la synergie entre l’OTAN et de l’UE selon la vision euro-atlantiste. La Turquie a pendant longtemps été considérée comme un modèle de démocratie musulmane avant son tournant diplomatique néo-ottoman plus récent. Le rôle stratégique de la Turquie perdure aujourd’hui mais les illusions sur l’européanisation de la Turquie se dissipent fortement.

Les gouvernements allemand et français ont eu dans le passé des positions à fronts renversés vis-à-vis de l’élargissement de la Turquie à l’UE[26]. Le chancelier allemand Helmuth Kohl (1982 à 1998) était défavorable aux négociations d’adhésion. C’est la France de Jacques Chirac qui souhaitait donner une perspective européenne à la Turquie afin de contrebalancer l’Allemagne au moyen du renforcement de la dimension méditerranéenne du projet européen. Cela va changer avec la coalition rouge-verte (Parti social-démocrate SPD et l’Alliance 90 / Les Verts 1998-2005) pro-turque en Allemagne sous le chancelier Gerhard Schröder. La Turquie s’est vue octroyer le statut de pays candidat en 1999 ; s’en est suivie l’ouverture des négociations en 2005. Le président Sarkozy élu en 2007 a ensuite affirmé que la Turquie n’avait pas vocation à entrer dans l’UE mais à faire partie de l’Union pour la Méditerranée, un outil géopolitique destiné à faire de la France un pivot à la charnière entre Europe et Méditerranée. La stratégie géopolitique française a cependant échoué face à l’opposition de l’Allemagne et le projet a abouti à une Union méditerranéenne sans grande envergure et encadrée par l’Union européenne.

En 2006, il a pourtant été décidé de suspendre les négociations de huit chapitres après le non-respect par la Turquie du protocole d’Ankara à propos de Chypre (Ankara a refusé d’ouvrir ses ports et aéroports aux Chypriotes grecs)[27].

Après une brève stabilisation des relations au début des révolutions arabes, la Turquie s’est ensuite constamment éloignée des Européens. A partir de mi-décembre 2016, le Conseil européen a décidé qu’aucun nouveau chapitre de négociations ne serait ouvert (19 sur 35 ont été négociés) et le processus est depuis gelé.

Les modalités de la relation avec la Turquie varient grandement en fonction des opinions différentes qui circulent dans la classe politique[28] en Allemagne. De droite à gauche, mis à part le parti AfD qui défend clairement une rupture avec la Turquie perçue comme une menace, les chrétiens démocrates (CDU et CSU) font la promotion d’un partenariat avec la Turquie comme alternative à l’adhésion, le parti libéral-démocrate (FDP) est en faveur d’un arrêt des négociations, les socio-démocrates (SPD) sont en faveur d’un processus ouvert mais sont aussi de plus en plus sceptiques, la gauche Die Linke est plus conciliante mais pour un gel temporaire des négociations, tandis que les Verts (Bündnis 90/Die Grünen) estiment qu’il est contreproductif de geler les négociations d’adhésion. Toutefois, la chancelière Angela Merkel, bien que défavorable à une adhésion, a toujours souhaité que l’Allemagne respecte ses engagements internationaux à propos de la promesse d’adhésion, si les critères étaient satisfaits et n’a pas remis en cause les négociations dans leurs principes.

L’Allemagne comme puissance économique et la Turquie : l‘enjeu énergétique du corridor sud

En raison de son positionnement comme puissance économique dans la mondialisation, de sa prépondérance économique dans l’UE, mais aussi de sa position géographique, l’Allemagne octroie à la Turquie un rôle plus important dans le voisinage européen que ce que font les autres Etats membres de l’UE comme la France.  

La Turquie est garante du corridor énergétique qui passe au sud du Caucase sur l’axe Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie[29], avec le soutien des États-Unis, mais aussi de l’OTAN et l’UE pour contourner la Russie[30]. La position de pivot de la Turquie pour la diversification énergétique avait été anticipée en Allemagne dès 2007 dans le cadre de la Nouvelle Ostpolitik[31] du gouvernement Merkel de coalition (CDU/CSU/SPD). Aujourd’hui, on parle moins d’« Ostpolitik », mais les priorités de la politique étrangère allemande en matière économique et d’accès à l’énergie n’ont pas fondamentalement changé. La Turquie est considérée comme le pays de transit par lequel l’Allemagne pourrait s’approvisionner dans le Caucase, l’Asie centrale, afin de moins dépendre de son premier fournisseur, la Russie.

Carte n°3 : L’enjeu géopolitique énergétique du corridor Sud

Toutefois, le projet Nabucco[32] qui devait matérialiser cette stratégie d’accès direct aux ressources énergétiques de la Caspienne, dans lequel l’Allemagne était partie prenante à travers la société RWE, a échoué[33].

Aujourd’hui, l’Allemagne s’est engagée dans le projet de Gazoduc Nord Stream II, qui, s’il devait aboutir, renforcerait les importations de gaz russe. Néanmoins, l’Allemagne poursuit son idée[34] d’un corridor sud passant par la Turquie pour diversifier ses approvisionnements énergétiques en gaz et en pétrole à partir de la mer Caspienne et l’Asie centrale. L’UE, avec le soutien des Allemands[35], fait ainsi la promotion du projet de corridor gazier sud-européen (Southern Gas Corridor)[36] qui prend forme avec le nouveau gazoduc Trans-Adriatic pipeline[37] qui transporte du gaz d’Azerbaïdjan jusqu’en Italie. C’est aussi la raison pour laquelle l’Allemagne dispose d’alliés dans les Balkans et en Europe du sud : pour éviter un renforcement des sanctions demandées par la France et la Grèce contre la Turquie. Si l’Allemagne a freiné l’application de sanctions contre la Turquie[38], l’Italie, l’Espagne ainsi que les pays d’Europe centrale n’y ont pas été favorables non plus[39].  

Les exportations d’armement Les exportations d’armement de l’Allemagne à la Turquie ont été mises sous les feux des projecteurs lors de l’opération militaire turque en Syrie contre les Kurdes en 2019, et lors de la guerre au Haut-Karabagh entre l’Azerbaïdjan soutenue par la Turquie et l’Arménie en 2020. La part de la Turquie dans les exportations allemandes d’armements représentait en 2018 presque un tiers (243 millions d’euros/268 millions de dollars) avant de faire l’objet de restrictions de la part du gouvernement allemand, après l’incursion de la Turquie en Syrie contre les Kurdes en 2018[40]. L’UE n’a pourtant pas réussi à imposer un embargo contraignant sur les exportations d’armes en Turquie[41]. Initiée par la Grèce lors du sommet d’octobre, cette mesure a finalement été bloquée par l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Hongrie. Toutefois, un moratoire sur les exportations d’armes s’est imposé, mais, selon l’interprétation de l’Allemagne mais aussi de la France, il ne vaut que pour les armes susceptibles d’être utilisées dans l’offensive contre les Kurdes alliés de la coalition internationale contre l’Etat islamique en 2018[42] et aura donc peu d’effets sur les exportations[43]. L’Allemagne se classe parmi les cinq plus grands exportateurs d’armes à la Turquie, après les USA, la Corée du Sud, l’Italie et l’Espagne[44]. A titre de comparaison, les exportations d’armements de la France vers la Turquie se sont élevées à 461,7 millions d’euros en dix ans, dont 45,1 millions en 2018[45]contre 243 millions pour l’Allemagne vers la Turquie. En 2009, le gouvernement allemand a approuvé la vente de six sous-marins ThyssenKrupp à la Turquie. La fabrication et la livraison de ces sous-marins étaient toujours d’actualité en 2021, malgré les protestations de la Grèce lors de la guerre au Haut-Karabagh en 2020. Cette question des exportations d’armement allemandes fait l’objet d’un vif débat au Bundestag, le parlement allemand, qui a davantage de pouvoir au sein des institutions que le Parlement en France[46].   

Les échanges économiques entre l’Allemagne et la Turquie

Pour la Turquie, l’Allemagne est le partenaire commercial le plus important et le plus grand investisseur étranger. La Turquie est en revanche au 17e rang pour les exportations allemandes et au 18e rang pour les importations. Les exportations allemandes vers la Turquie ont baissé en 2019 de 20,4 à 18 milliards d’euros,[47] mais se sont élevées à 21 milliards d’euros en 2020[48]. A titre de comparaison, les exportations allemandes s’élevaient en 2020 à 91 milliards d’euros vers la France, 23 milliards d’euros vers la Russie et 18 milliards d’euros vers le Danemark[49].

La Turquie était en 2020 au 14e rang en termes de balance commerciale extérieure positive (excédent commercial) de l’Allemagne avec 5,9 milliards d’euros de surplus (c’est à dire voisin des excédents commerciaux avec l’Espagne, 6,1 milliards d’euros et la Grèce 3,8 milliards d’euros, l’excédent commercial avec la France s’élève par contre à 34 milliards d’euros)[50].

A titre de comparaison au niveau mondial, les principaux clients de la Turquie étaient en 2019 l’Allemagne (16 milliards de dollars), le Royaume-Uni (11,2 milliards de dollars), les Etats-Unis (10,2 milliards de dollars), l’Irak (9,1 milliards de dollars), l’Italie (8,1 milliards de dollars), la France (7,2 milliards de dollars) et l’Espagne (6,7 milliards de dollars)[51]. Les principaux fournisseurs de la Turquie étaient la Chine (23 milliards de dollars) devant l’Allemagne (21,7 milliards de dollars), la Russie (17,9 milliards de dollars), les Etats-Unis (11,5 milliards de dollars), l’Italie (9,2 milliards de dollars), l’Irak (8,2 milliards de dollars), la Suisse (7,8 milliards de dollars) et enfin, la France (7 milliards de dollars).[52]

L’immigration turque en Allemagne  

C’est à partir des années 1960 que l’Allemagne a favorisé les migrations économiques en provenance de la Turquie. A cette époque, il ne s’agissait que de travailleurs supposés retourner dans leur pays d’origine. De plus, comme le droit du sang prévalait en Allemagne, il n’était donc pas question d’élaborer des politiques d’intégration des migrants turcs dans l’optique d’une migration de peuplement. Toutefois, de nombreux travailleurs turcs se sont installés définitivement et, en l’an 2000, l’Allemagne a introduit le droit du sol. Il s’agit de la plus grosse minorité en Allemagne. On estime aujourd’hui à plus de 3 millions le nombre de citoyens turcs ou d’origine turque en Allemagne[53]. Cette diaspora a toutefois commencé à devenir un enjeu politique, en lien avec l’évolution politique de la Turquie et l’instrumentalisation des diasporas par le gouvernement turc sous la présidence de Recep Tayyip Erdoğan. Il faut se rappeler que le président turc Recep Tayyip Erdoğan avait fait scandale en déclarant en 2008 que l’assimilation des Turcs en Allemagne était un crime contre l’humanité[54].

La géopolitique interne de l’Allemagne, sous influence de la diaspora turque, détermine aussi considérablement les relations entre les deux pays. Les rapports difficiles avec une frange croissante des minorités turques qui refusent toute assimilation[55] et les rivalités entre les Turcs et les Kurdes sur le sol allemand sont porteurs de crises à l’avenir[56].

Crise migratoire : comment l’Allemagne et l’UE sont devenues les otages de la Turquie   

La crise migratoire, dont le pic fût atteint en 2015, est aussi un épisode qui marquera aussi de manière déterminante les relations germano-turques, avec de lourdes conséquences pour l’Union européenne.   

Il est difficile d’interpréter pourquoi Angela Merkel et son gouvernement ont pris la décision d’ouvrir les frontières durant l’été 2015, et les justifications a posteriori sont plus faciles, toutefois on peut poser quelques hypothèses. 

Lors de l’éclatement de la crise migratoire, le gouvernement allemand a dû prendre des décisions face à l’urgence et de nombreux facteurs ont probablement joué :

  • Les calculs de politique interne au sein du gouvernement de coalition et dans le paysage politique de plus en plus fragmenté et divisé sur la question migratoire ; les pressions des membres de la coalition d’Angela Merkel et l’opposition politique (Verts, Die Linke) plus favorables aux migrants,
  • L’urgence humanitaire (et les risques de dérapages aux frontières) car la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille aux irrégularités et les ONG pro-migrants et « no border » ont exercé un matraquage médiatique pour culpabiliser les critiques à leurs affaires juteuses[57],
  • La personnalité de la chancelière et sa vision de l’Allemagne et du projet européen influencés par son interprétation des valeurs de la démocratie chrétienne[58] (Angela Merkel est fille de pasteur protestant),
  • L’idéologie des valeurs de la société ouverte et des droits de l’Homme prônée par l’Union européenne[59].
  • Les Balkans sont aussi une priorité pour maintenir la stabilité pour les Allemands. La crainte était aussi d’aboutir à une dangereuse concentration des migrants dans les Balkans si l’Allemagne gardait la frontière fermée, et augmenter les risques de crises dans la zone.

La crise migratoire a débuté dans les années 2010 et trouve son origine dans des causes multiples comme les conflits, guerres civiles, crises économiques et l’aspiration à une vie meilleure pour les migrants, la politique d’accueil avantageuse de certains Etats européens. Les flux proviennent de différents pays sources[60] et concernent plusieurs routes migratoires[61]. Cette crise s’est brusquement accélérée en 2015 en Méditerranée[62] de la Turquie vers la Grèce. L’importance des flux, mais aussi l’impossibilité de faire la distinction entre les réfugiés politiques et les migrants économiques parmi les clandestins qui traversent illégalement les frontières a rendu la crise très difficile à gérer. Les flux ont aussi concerné en 2015 et 2016 non pas les réfugiés provenant directement des zones de conflits, mais des « réfugiés secondaires » qui étaient présents dans les camps depuis plusieurs années après avoir fui la Syrie mais aussi l’Afghanistan et l’Irak. Parmi ces réfugiés secondaires arrivant en Grèce en 2015, plus de la moitié étaient ainsi des demandeurs d’asile syriens (56,1% de Syriens, 24,3% d’Afghans, 10,3% d’Irakiens), ayant transité par la Turquie. Cette présence des réfugiés secondaires renforce la thèse de l’instrumentalisation par la Turquie de ces réfugiés pour renforcer la crise migratoire et l’utiliser comme arme géopolitique contre les Européens[63]. On sait que le droit d’asile largement dévoyé est non seulement devenu une filière d’immigration[64], mais il peut aussi être utilisé pour infiltrer des terroristes[65]

Lors de la crise de 2015, c’est la route des Balkans qui a été empruntée par les migrants à partir de la Grèce en provenance de Turquie. Les migrants ont cherché à atteindre les pays du Nord de l’Europe, l’Allemagne, les Pays-Bas qui étaient plus attractifs et au début de la crise les pays des Balkans dont la Grèce, mais aussi la Hongrie et l’Autriche qui ont laissé passer les migrants en transit vers le Nord, avant d’être débordés par les flux[66]. L’Allemagne a enregistré à elle seule plus de 1,16 million de demandes d’asile sur les 2,46 millions dans l’UE pour les deux années 2015 et 2016, selon les données d’Eurostat.

Angela Merkel a surtout invoqué des raisons humanitaires pour justifier sa décision d’ouvrir la frontière allemande aux migrants le 25 août 2015[67]. La chancelière a souligné la nécessité pour les pays de l’Union européenne de respect des valeurs, invitant les Etats membres à faire preuve de responsabilité et de solidarité entre États membres et envers les réfugiés[68].

Il faut se rappeler aussi le contexte médiatique. La dimension morale de cette décision a été saluée dans les médias allemands avec « le retour du bon Allemand »[69] comme l’a décrit le magazine Der Spiegel. Alors que des comparaisons avec les nazis avaient été mises en avant pendant la crise de l’euro, le magazine s’est réjoui que les commentateurs étrangers dans les médias libéraux anglo-saxons aient loué désormais la manière dont les réfugiés avaient été traités par le gouvernement Merkel qui aurait ainsi fait preuve d’une humanité exemplaire. Le sentiment de supériorité morale est fort en Allemagne pour se démarquer du passé. Sous l’emprise de la culpabilité et de la repentance après le nazisme, une partie des Allemands estiment être désormais en mesure de mieux comprendre ce qui est bien et moralement acceptable non seulement pour l’Allemagne mais aussi pour l’Europe entière. La Chancelière a aussi défendu sa décision pour faire contraste avec les actes de violence de la part d’extrémistes contre les migrants en Allemagne[70].

Le poids de l’histoire allemande (la réaction au nazisme, les réfugiés allemands après 1945 en provenance des territoires perdus, la réunification allemande qui a été rendue possible par l’ouverture des frontières d ‘Allemagne de l’Est) est sans doute aussi un facteur explicatif de la large approbation de l’opinion publique au début de la crise pour ouvrir les frontières et accueillir les migrants. Après l’émotion des premiers jours, cette décision a néanmoins aussi rencontré une opposition croissante parmi les citoyens et le personnel politique qui ont gardé une conception différente à la nation allemande plus traditionnelle (basée sur le droit du sang, surtout en ex-Allemagne de l’Est[71] et la Leitkultur[72]).

En ce qui concerne le contexte politique, l’absence d’attentats récents sur le sol allemand a entraîné une réaction plus empathique des Allemands par rapport à la France qui est aussi confrontée à la question postcoloniale. Du point de vue des représentations, l’Europe « humanitariste et moraliste » sans considération de puissance sied à beaucoup d’Allemands.

Cette décision a provoqué un appel d’air qui a aggravé la crise migratoire pour l’Europe entière. Selon le journaliste allemand Robin Alexander, qui a enquêté sur cette affaire une semaine après l’ouverture des frontières, il avait toutefois été décidé au sein de la coalition de refermer les frontières allemandes. Aucun dirigeant politique n’a cependant souhaité prendre la responsabilité de mettre en œuvre ce plan, face à la pression ambiante[73]. Après la décision initiale d’ouverture des frontières, le gouvernement d’Angela Merkel a choisi la voie d’une fuite en avant qu’elle a tenté de justifier et défendre par la suite.     

Les décisions de la coalition d’Angela Merkel[74] pour gérer la crise migratoire ont été politiquement controversées[75]. Le débat interne en Allemagne a vite fait éclater le consensus au sein même du gouvernement puisque la CSU, par la voix de son président Horst Seehofer[76], s’est rangée du côté du premier ministre hongrois Viktor Orban qui a critiqué « l’impérialisme moral » d’Angela Merkel. L’accord temporaire du 4 novembre obtenu par la coalition au pouvoir en Allemagne entre les partis CDU, CSU et SPD a souligné une victoire pour la politique d’ouverture d’Angela Merkel et du parti socialiste allemand, mais n’a pas tari pour autant les débats et les désaccords entre partis sur cette question[77]. La chancelière allemande avait à cette occasion refusé les quotas de migrants demandés par la CSU[78].

Horst Seehofer, partenaire de coalition au pouvoir d’Angela Merkel, du parti chrétien social bavarois (CSU), a souligné que l’équilibre culturel de l’Allemagne était en danger. De nombreux membres de la CDU comme Markus Söder, le ministre bavarois des Finances Hans-Peter Friedrich, membre de la CSU ont aussi exprimé leur désaccord sous des formes diverses avec le danger de la perte de contrôle des frontières, les agents islamistes ou la saturation des capacités d’accueil.

C’est plus tard qu’Angela Merkel et son gouvernement sont revenus sur la décision d’ouverture des frontières en novembre 2015[79] sans toutefois stopper totalement les flux ni empêcher plus récemment le déplacement de la crise vers la Libye et l’Espagne. Mais depuis, Angela Merkel a toujours défendu sa décision[80].

Les hypothèses sur les motivations profondes de l’Allemagne

Pour gérer la crise, notamment la réponse à apporter au niveau européen, de nombreux facteurs sont à prendre en compte pour expliquer la position de l’Allemagne au-delà des raisons humanitaires ou la défense des valeurs de l’UE.

L’enjeu des frontières internes et externes de l’UE était un facteur important. La thématique de l’immigration, pour pallier le déficit démographique de l’Allemagne, a aussi été mise en avant par les acteurs économiques.

Face à la décision de la Hongrie qui a choisi de fermer sa frontière nationale (jusqu’à aujourd’hui), le gouvernement allemand s’est aussi trouvé devant la perspective de voir les frontières nationales des autres pays de l’UE se clôturer aussi les unes après les autres pour stopper les flux sur l’exemple de la Hongrie[81]. Cela signifiait la remise en cause de la vision allemande idéale d’une Europe sans frontière.

La négociation en 2016 d’un pacte migratoire avec la Turquie, en lui octroyant le rôle de gardien de la frontière extérieure, avait pour objectif de maintenir les frontières des Etat-Membres ouvertes selon les accords de Schengen. L’UE ne peut pas surveiller les frontières car l’agence Frontex n’a ni assez de moyens ni les compétences (le contrôle des frontières extérieures de l’UE est de facto de la responsabilité des Etats qui ont une frontière avec les pays extérieurs à l’UE).

A l’occasion de cette crise migratoire, les propositions de la Commission européenne, visant à instaurer des quotas de relocalisation obligatoires pour les migrants en provenance de Turquie, ont aussi été soutenues par le gouvernement allemand[82].

Le pacte migratoire de 2016 avec la Turquie

Pour faire face à la crise migratoire dans la durée, un accord avec la Turquie a été conclu au Conseil européen de l’UE du 18 mars 2016[83], après des négociations qui ont été marquées par plusieurs mois de désaccords au sein de l’Union européenne. Le contenu de ce pacte migratoire entre l’UE et la Turquie est issu du « plan Merkel », un plan inspiré par des experts du Think-Tank European Stability Initiative et dont les modalités étaient en discussion depuis plusieurs mois entre les Allemands, les Turcs et les Néerlandais (qui détenaient la présidence néerlandaise de l’UE de janvier à juin 2016).

Avec le pacte migratoire du 18 mars 2016, l’Allemagne a non seulement donné un pouvoir exorbitant à la Turquie sur le contrôle des frontières de l’UE, mais elle a aussi lié ce rôle de la Turquie à la promesse de progression des négociations d’adhésion à l’UE.

Cet accord était basé sur le principe du « un contre un » (un réfugié stationné en Turquie accueilli en Europe contre un réfugié parti en Grèce réadmis par la Turquie). La Turquie devait accepter le renvoi vers son territoire des nouveaux migrants en situation illégale arrivant dans les îles grecques, y compris les demandeurs d’asile syriens en contrepartie du versement d’une aide de six milliards d’euros destinés aux 3,6 millions de réfugiés en Turquie.

En plus de l’aide pour l’accueil des réfugiés, une exemption de visas pour les citoyens turcs, la reprise des négociations d’adhésion à l’UE, et la participation turque aux sommets européens avaient été concédées à la Turquie.

Mises à part la surveillance aléatoire de la frontière grecque par la Turquie et les aides pour les réfugiés, ce plan n’a jamais pu être entièrement mis en œuvre, notamment à cause des désaccords sur une répartition automatique des migrants entre Etats membres[84]. La Turquie utilise depuis lors le facteur migratoire comme moyen de pression sur l’UE.

Le chantage migratoire n’a jamais cessé depuis. Pour obtenir plus d’aides, Recep Tayyip Erdoğan a menacé d’inonder l’Europe de migrants le 16 novembre 2015 novembre à Antalya après un sommet du G20.[85] Le président turc a réitéré ses menaces en septembre 2019[86] et en octobre 2019, lorsqu’il a déclaré vouloir ouvrir les portes de l’Europe à des millions de réfugiés en réponse aux critiques européennes contre l’offensive turque en cours dans le nord-est de la Syrie[87]. Enfin en mars 2020, pour faire taire les critiques face à une nouvelle opération militaire de la Turquie contre la Syrie de Bachar El-Assad, le président turc a ouvert les frontières turques pour que les migrants se pressent à la frontière grecque[88].

Lors du rebond de la crise migratoire aux frontières grecques au printemps 2020 provoquée par l’annonce faite par la Turquie que ses frontières vers l’Europe étaient à nouveau accessibles, le gouvernement allemand a affiché sa fermeté, en contraste de la décision d’ouverture de la frontière en 2015, pour ne pas provoquer de nouvelle crise migratoire[89].

Aujourd’hui pris au piège, le gouvernement allemand est sous la pression de la Turquie et ceci éclaire son peu d’allant pour affronter la Turquie à propos des différents désaccords entre l’UE et la Turquie. Les Allemands ont depuis 2015 décidé qu’une nouvelle crise migratoire ne devait plus se reproduire, ainsi peut s’expliquer la politique allemande de médiation voire même d’alliance avec la Turquie, diront les observateurs plus critiques,[90]

La pression migratoire s’est depuis déplacée vers la Libye et l’Espagne. Après son intervention militaire en Libye en soutien au gouvernement de Tripoli, la Turquie a aussi obtenu la gestion d’un programme de formation des garde-côtes libyens, lui donnant potentiellement encore plus de poids dans la gestion de la crise migratoire à partir de la Libye et d’un moyen de pression supplémentaire sur l’Union européenne[91].

Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il est important de mettre en lumière les modalités et les circonstances qui ont abouti à ce pacte migratoire de 2016 entre l’UE et la Turquie, inspiré du « plan Merkel ».

Après plusieurs mois de négociations, la dernière version du « plan Merkel » avait été mise sur la table du Conseil européen du 18 mars 2016, sans accord préalable franco-allemand. Lors du sommet de l’UE, l’accord avec la Turquie avait d’abord été négocié au niveau bilatéral entre l’Allemagne et la Turquie, notamment la chancelière allemande Angela Merkel et le Premier Ministre turc Ahmet Davutoğlu. Il a été finalement imposé[92] aux Etats récalcitrants de l’UE car la France s’est alignée sur l’Allemagne au nom de sa priorité de montrer un couple franco-allemand uni. Cette manière de faire fut un écart à la règle tacite que tout accord au sein de l’Union européenne doit d’abord faire l’objet d’un accord franco-allemand.

Les enjeux géopolitiques du pacte migratoire de 2016 avec la Turquie

 Si l’on se réfère à nouveau aux propositions du Think-Tank European Stability Initiative, la lecture détaillée de son « plan Merkel » publié le 4 octobre 2014 est particulièrement éclairante. Pour rappel, ces propositions ont été intégrées dans les propositions de l’UE sous présidence néerlandaise, après avoir inspiré les plans de la coalition allemande d’Angela Merkel. On comprend mieux les motivations politiques et géopolitiques de la démarche qui sont exposées explicitement. Toutefois, cet aspect, noyé dans les considérations humanitaires mises en avant par les ONG « pro-migrants » et en faveur du « sans-frontière », a été largement escamoté par les médias et la plupart des gouvernements des Etats membres de l’UE.  Les motivations géopolitiques de cette proposition apparaissent à deux niveaux, le niveau interne à l’Union européenne, avec en toile de fond les désaccords entre Etats membres sur les modalités de la crise migratoire et le niveau externe lié aux enjeux de la guerre en Syrie et le positionnement de l’Union européenne dans la rivalité des grandes puissances entre Turquie, Russie et Etats-Unis. 

La dimension géopolitique externe du « plan Merkel »

A la lecture du rapport sur le « plan Merkel », le Think-Tank révèle les objectifs géopolitiques plus profonds de ce plan, conformes aux priorités et aux intérêts des Etats-Unis et de la Turquie.

Il faut ici rappeler le contexte géopolitique avec l’internationalisation croissante de la guerre civile en Syrie qui dure depuis 2011. Cette guerre oppose des rebelles contre les forces loyales à Bachar el-Assad. Dans la palette des groupes rebelles, les islamistes se sont imposés et les plus extrémistes d’entre eux, l’Etat islamique, sont rapidement montés en puissance. L’implication des grandes puissances a immédiatement fait de la Syrie un enjeu régional et même mondial, et le révélateur des fractures géopolitiques. Au début de la crise, la Turquie, les pays du golfe, les Etats-Unis et Israël mais aussi les Etats membres de l’Union européenne dont le Royaume-Uni et la France ainsi que l’Allemagne, ont promu un changement de régime contre Bachar El-Assad dans le sillage des révolutions arabes[93] en ayant chacun des motivations et agendas différents. Toutefois, cet objectif s’est révélé impossible à atteindre et le combat contre l’Etat islamique est devenu progressivement, du moins officiellement, la priorité. 

Une coalition internationale de 22 pays[94], menée par les Etats-Unis, a procédé à une campagne de frappes aériennes contre l’Etat islamique à partir d’août 2014 en parallèle à un soutien à des rebelles, dont des Kurdes, opposés à l’Etat islamique, mais aussi à la Syrie loyale de Bachar El-Assad. L’Allemagne et la France font partie de cette coalition[95].

L’intervention russe à la demande du Président syrien, à partir du 30 septembre 2015, a provoqué la critique des Occidentaux car elle a mis un coup d’arrêt à la tentative de changement de régime en Syrie. En 2015 et 2016, deux coalitions rivales[96] se sont donc côtoyées sur le territoire Syrien, mais avec des priorités différentes. L’intervention russe était un défi à la coalition menée par les Etats-Unis qui conditionnaient la résolution du conflit au départ de Bachar El-Assad et à la mise en place d’une transition politique incluant l’opposition qu’ils ont soutenue parallèlement à la lutte contre l’Etat Islamique. Plus tard, sous la présidence de Donald Trump, le départ de Bachar El-Assad n’a plus été la priorité.

En parallèle de la crise migratoire ont eu lieu les attentats terroristes de Paris le 13 novembre 2015, précédés de l’attentat contre un avion russe à Charm el-Cheikh en Egypte le 31 octobre 2015. Ils ont été revendiqués par l’Etat islamique en représailles aux interventions française et russe en Syrie. Les attentats en Turquie de Suruç à la frontière avec la Syrie, le 20 juillet 2015 et celui d’Ankara, le 10 octobre 2015, également revendiqués par l’Etat islamique servirent de prétexte par la Turquie pour mettre fin au processus de paix initié au début de l’année 2013 entre le mouvement kurde armé et l’État turc et provoquera une série d’interventions de l’armée turque en territoire syrien.

Une crise entre la Russie et la Turquie avait aussi aggravé le contexte géopolitique. La Turquie avait abattu un avion de chasse russe engagé en Syrie le 23 novembre 2015 en l’accusant d’avoir violé son espace aérien. La Turquie a même tenté d’entrainer l’OTAN pour procéder à une escalade contre la Russie. Elle a cependant échoué, car le principe de solidarité dans l’alliance n’a abouti qu’à une défense verbale de la Turquie. Les liens ambigus entre le gouvernement turc et la question syrienne, notamment le trafic de pétrole avec l’Etat islamique, avaient ensuite été dénoncés vigoureusement par le président Poutine[97]. Le président turc avait de son côté dénoncé l’intervention russe en Syrie, affirmant qu’elle ne visait pas les positions de l’Etat islamique[98]. La Russie et la Turquie ne réussiront à normaliser leur relation qu’en juin 2016[99].

Tout au long de cette crise, les réfugiés fuyant la guerre, mais aussi la crise économique en Syrie qui subit depuis 2011 les sanctions de l’UE, se sont amassés en grand nombre dans des camps en Turquie mais aussi au Liban, en Syrie et en Jordanie.

La guerre en Syrie, la montée en puissance de l’Etat islamique et l’intervention de la coalition contre l’Etat islamique, le jeu trouble de la Turquie, l’intervention militaire de la Russie et la crise migratoire sont donc des crises simultanées et ne sont pas séparables pour comprendre ces événements. 

Ce contexte a été sous-estimé, et souvent escamoté par les médias alors que l’hypothèse dans cette analyse souligne qu’il a constitué un facteur central pour comprendre les déterminants de la crise et les enjeux géopolitiques sous-jacents du pacte migratoire avec la Turquie.    

Dans la rapport du think-tank European Stability Initiative sur le « plan Merkel, il est ainsi souligné : « pourquoi serait-il dans l’intérêt de la Turquie d’aider l’Allemagne de cette manière ? Pendant de nombreuses années, la Turquie a résisté au retour des ressortissants de pays tiers qui ont traversé ses frontières vers la Grèce, malgré un accord de réadmission. Pourquoi la Turquie agirait-elle différemment maintenant ?

En fait, cet accord pourrait apporter une contribution significative à la sécurité de la Turquie. Ces derniers temps, une Russie renaissante a révisé ses frontières, annexé des territoires et soutenu les séparatistes dans le nord de la mer Noire. Elle a déplacé ses militaires dans les territoires annexés du Caucase du Sud. Maintenant, elle a lancé une intervention militaire majeure à la frontière sud de la Turquie, attaquant des groupes que les États-Unis et la Turquie soutiennent depuis longtemps. La Turquie se trouve aujourd’hui entourée d’États hostiles et de groupes armés, dans une position stratégique plus précaire qu’à aucun moment depuis la fin de la guerre froide.

Dans un tel moment, de bonnes relations avec l’Europe sont un élément clé de la sécurité turque. La montée en puissance d’une extrême droite anti-musulmane et pro-Poutine dans la politique européenne devrait donc être un réel sujet de préoccupation. Cela amène la perspective d’une politique européenne évoluant dans le sens d’aligner davantage sa politique étrangère sur le Kremlin. » [100].

A la lecture de ce texte, le think tank révèle que le soutien à la vision et aux intérêts de la Turquie et des Etats-Unis représentait des objectifs géopolitiques explicites associés à son plan de résolution de la crise migratoire

Dans son commentaire sur les négociations en cours entre l’UE et la Turquie en février 2016, Gerald Knaus, président du European Stability Initiative, avait souligné sur Radio France Internationale (RFI) que « la Turquie est également confrontée à une situation dans laquelle elle a besoin du soutien des alliés occidentaux alors qu’elle fait face à la guerre avec le groupe armé État islamique, à la confrontation avec le gouvernement Assad et à de fortes tensions avec Moscou, notamment après avoir abattu un avion de guerre russe en novembre dernier. Il est important d’avoir le soutien de l’Union européenne, non seulement pour traiter la question des réfugiés, mais aussi pour que la Turquie ait une sorte d’ancrage pour son économie, des partenaires qui peuvent aider la Turquie si elle subit plus de pression, y compris de la Russie. »[101]. Ces justifications mettant en avant les intérêts de la Turquie contre la Russie sont conformes au modèle de « l’Europe américaine », c’est-à-dire une Union européenne alignée sur les priorités géopolitiques des Etats-Unis avec la Turquie pour pivot régional pour contrer la Russie. Il faut rappeler que les États-Unis ont régulièrement déclaré que l’Union européenne devrait s’élargir à la Turquie (à l’exception de Donald Trump), conformément aux objectifs géostratégiques des États-Unis et de ses proches alliés euro-atlantistes.  

Le non-dit géopolitique, derrière la vision promue par le think-tank European Stability Initiative, consiste à empêcher l’émergence d’une « Europe européenne » à l’échelle continentale avec une relation plus étroite avec la Russie et conforme à la vision anticipatrice du général de Gaulle (Europe de l’Atlantique à l’Oural) basée sur le modèle de l’Europe des nations enracinées dans la civilisation européenne. C’est au contraire une Europe comme sous-ensemble de l’espace euro-atlantique incluant la Turquie, mais excluant la Russie, et reposant sur le modèle progressiste américain de la société ouverte (et donc communautariste/multiculturaliste et ouverte à l’immigration) qui a été mise en avant.  

On peut aussi émettre l’hypothèse qu’il y avait bien plus en jeu dans cette crise, même si elle n’a pas fait la une des journaux : ces flux migratoires ont été instrumentalisés comme une « arme géopolitique » entre les mains des puissances extérieures contre l’Union européenne.

On a déjà découvert que l’État islamique utilisait ces flux migratoires pour infiltrer des terroristes[102] et faciliter la propagande islamiste dans les camps de réfugiés.

La question du déclenchement de la crise migratoire, ou du moins son aggravation volontaire se pose aussi. A qui profite le crime ? L’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) a ainsi douté dès le départ du plan Merkel. Comme l’a révélé le média Politico à partir d’un rapport d’Eurojust, les autorités turques ont en réalité soutenu les passeurs qui ont organisé les départs à partir de la Turquie[103] (contrairement à l’opinion dominante dans l’UE propagée par les autorités turques que les migrants avaient quitté la Turquie de leur plein gré et sans soutien logistique).

On peut poser aussi l’hypothèse que les flux migratoires avaient pour objectif de soumettre les Européens non seulement aux visées de la Turquie néo-ottomane mais aussi à la vision unipolaire des États-Unis et leurs plus proches alliés euro-atlantistes adossés à leur modèle de mondialisation libérale.

En ce qui concerne la guerre civile syrienne, les flux de migrations vers la Turquie avaient aussi pour objectif d’affaiblir la Syrie loyale à Bachar El-Assad car cela faisait autant de combattants potentiels qui fuyaient le pays, en phase avec les intérêts de la Turquie qui a poussé à un changement de régime[104]. Ces flux ont cependant aussi pu jouer en faveur de Bachar El-Assad lorsque les populations opposées à son régime ont fui à l’étranger.    

Les flux migratoires de la Turquie vers l’Europe, en plus de servir d’instrument de chantage contre l’Union européenne, sont aussi un facteur d’islamisation de l’Europe à plus long terme qui convient aux visées du président turc Recep Tayyip Erdoğan.

La vague de migrations est également, du point de vue turc, une conséquence de l’absence de soutien des Etats membres de l’Union européenne à ses opérations militaires pour créer des zones de sécurité dans le nord de la Syrie, et qui se résument de facto à une occupation du territoire de la Syrie.  

Cependant, à l’inverse de la Turquie, la responsabilité des États-Unis dans l’aggravation des flux migratoires n’a pas été soulignée. Or, le général américain Philip Breedlove, a déclaré « ensemble, la Russie et le régime de Bachar el-Assad utilisent délibérément la migration comme une arme pour essayer de submerger les structures européennes et casser la détermination européenne »[105]. En ce qui concerne la Russie, cette affirmation ne résiste cependant pas à l’analyse, puisque la crise migratoire de 2015 vers la Grèce s’est déclenchée avec l’accroissement des flux de réfugiés secondaires, qui étaient déjà en Turquie[106]. Le général Jean-Bernard Pinatel a ainsi souligné que « je me dois de qualifier les propos de ce général de l’OTAN de grossière propagande. L’OTAN ne défend pas l’Europe, elle défend les intérêts américains en Europe. Les Etats-Unis qui dirigent cette organisation ont un objectif stratégique qu’ils poursuivent sans relâche depuis 1991 : éviter que l’Europe et la Russie se rapprochent et que leur alliance stratégique les prive de la primauté mondiale qu’ils ont acquise suite à l’effondrement de l’URSS. Quant à l’OTAN, son rôle est de mettre en œuvre cette stratégie en réinstallant un climat de Guerre froide en Europe. Sur le fond, sa déclaration est totalement contredite par les faits. Les réfugiés Syriens étaient depuis longtemps stationnés dans des camps en Turquie et cela bien avant l’intervention russe en Syrie qui a commencé en août 2015. » 

Le plan germano-turc visant à canaliser les migrations en provenance de Syrie, de manière légale, en échange des visas pour les ressortissants turcs en Europe, convient également à l’intérêt des Etats-Unis selon la vision atlantiste (qui ne correspondait cependant pas à la vision de Donald Trump et des conservateurs américains), car l’Europe devient ainsi plus en plus imbriquée avec la Turquie caractérisée par une forte démographie. Ceci est conforme au plan américain d’élargissement de l’UE à la Turquie pour réaliser le modèle d’ « Europe américaine » (élargissement de l’UE à tous les membres du Conseil de l’Europe à l’exception de la Russie).  

L’immigration extra-européenne modifie également l’équilibre ethnique de l’Europe et fragmente de plus en plus les sociétés européennes, conduisant à une destruction des identités traditionnelles et nationales.

Plus récemment, lors du rebond de la crise migratoire en Méditerranée centrale vers l’Italie, l’organisation European Stability Initiative a proposé un « plan Rome ». Le cœur de sa proposition était d’organiser un flux de réfugiés vers l’UE en provenance de Turquie pour soulager le pays[107]. A l’occasion de la nouvelle flambée migratoire aux frontières de la Grèce en mars 2020, Gerald Knaus s’est à nouveau exprimé dans les médias pour critiquer la fermeture de la frontière grecque qui avait cette fois-ci le soutien d’Angela Merkel. Il a proposé à l’inverse un nouveau pacte migratoire avec la Turquie après l’échec de celui de 2016 pour légaliser les flux de réfugiés[108]. Cet organisme fait parallèlement la promotion de la poursuite de l’élargissement de l’UE[109] dans les Balkans, et Gerald Knaus a aussi donné une série de conférences au collège de l’OTAN à Rome au cours desquelles il a justifié la synergie UE/OTAN et les interventions de l’OTAN[110]. European Stability initiative continue aussi de s’opposer régulièrement au premier ministre hongrois Victor Orban[111].

En fin de compte, la crise migratoire est un nœud géopolitique où se sont télescopés de multiples enjeux emboités : la relation germano-turque, la relation entre l’UE et la Turquie, les relations transatlantiques et le rôle pivot de la Turquie contre la Russie. Derrière les différends sur la gestion de la crise migratoire, on a vu deux modèles concurrents des finalités du projet européen se profiler selon deux scénarios alternatifs : la pérennité des nations dans un monde de plus en plus fragmenté et enraciné ou la fuite en avant vers un monde ouvert à tous les flux.

 Le contexte géopolitique international a donc aussi largement déterminé les postures des gouvernements. Avec le plan Merkel et le pacte migratoire avec la Turquie en 2016, c’est finalement la promotion d’un modèle d’Europe libérale-progressiste et soumise à l’euro-atlantisme exclusif, selon les intérêts de la Turquie et des Etats-Unis, que le gouvernement d’Angela Merkel a cherché à imposer aux Etats membres avec la complicité de l’Union européenne. Cette posture a abouti à la soumission de l’Allemagne et de l’Union européenne au chantage récurrent de la Turquie. Si ces plans se sont heurtés à la difficulté de leur mise en œuvre et les désaccords entre Etats membres de l’UE, la prise de conscience du jeu dangereux de la Turquie dans cette affaire et des enjeux géopolitiques sous-jacents n’est pas encore bien affirmée. La rivalité des finalités géopolitiques européennes en lien avec la question migratoire ne fera pourtant que s’exacerber. 

Conclusion : la relation germano-turque et les intérêts de la France  

La relation germano-turque est donc marquée par les crises à répétition[112] mais sans pour autant provoquer de changement radical de la posture allemande, qui ne sort pas de la conciliation. Le piège de l’accord migratoire avec la Turquie et la perspective de voir la Turquie s’éloigner plus encore de l’UE et l’OTAN y sont aussi pour beaucoup. La préservation des intérêts géostratégiques et géoéconomiques qui sous-tendent la relation germano-turque a pour l’instant primé sur les crises[113].

L’évolution des relations germano-turques sera déterminée d’une part, par l’évolution de la situation internationale, en particulier la posture du nouveau président américain et, d’autre part, par l’évolution des rapports de forces politiques internes en Allemagne dans le cas de l’arrivée au pouvoir des partis politiques plus critiques vis-à-vis de la Turquie.

Toutefois, la crise économique en Turquie est susceptible d’affaiblir les plans de Recep Tayyip Erdoğan qui n’aura peut-être pas les moyens de sa politique, mais cette réalité peut tout aussi renforcer l’agressivité de la diplomatie turque. La Turquie risque d’être pour longtemps un défi pour les Européens, au-delà de la présidence de Recep Tayyip Erdoğan. L’expansionnisme territorial, sous couvert d’idéologie pan-turquiste et islamiste de la Turquie, déstabilise la Méditerranée et l’Europe balkanique, mais aussi le territoire européen en raison de la présence des diasporas turques qui sont autant de leviers pour le président Recep Tayyip Erdoğan[114].

Les relations germano-turques continueront de jouer un rôle pivot au sein de l’Union européenne. L’Allemagne s’est rendue trop dépendante de la Turquie à propos de la question des réfugiés ; elle a entraîné toute l’UE dans ce chantage récurrent. Elle a aussi été excessivement tributaire du triangle formé par les relations de rivalité et de calculs entre les Etats-Unis, la Turquie et la Russie. L’élargissement de l’UE à la Turquie est désormais une impasse avérée mais la question est loin d’être réglée car la Turquie fera monter les enchères et exigera des compensations. Compte tenu de son attitude complaisante, jusqu’à quel point l’Allemagne entrainera-t-elle l’UE dans un nouveau chantage probable de la Turquie ?

Il appartient à la France de faire valoir ses propres intérêts auprès de l’Allemagne, dans le cadre de la relation franco-allemande mais aussi avec d’autres alliés au sein l’UE et en dehors de l’UE et l’OTAN. L’élection d’un nouveau chancelier en Allemagne à l’automne 2021 est aussi une occasion pour la France de promouvoir une position franco-allemande plus ferme vis-à-vis de la Turquie. Cela passe aussi par le rééquilibrage de la relation franco-allemande et le courage de s’opposer aux décisions allemandes lorsqu’elles ne concordent pas avec les intérêts de la France.  

La France, comme puissance d’équilibre et puissance méditerranéenne, a intérêt à un endiguement de la Turquie expansionniste et la réduction de ses leviers de chantage. Dans le monde précaire et instable qui émerge, les solutions idéales et définitives n’existent pas, et c’est une posture agile, ciblée, ferme et rusée qui pourrait faire la différence.

Des actions communes au sein de l’OTAN et de l’UE auraient du poids face à la Turquie si la France réussissait à rassembler une coalition suffisamment solide pour aller au-delà des sanctions symboliques. Remettre en cause l’appartenance de la Turquie à l’OTAN serait justifié, mais on l’a vu, elle rencontrera l’opposition des alliés, en particulier les Etats-Unis[115].

La menace d’une suspension de l’accord douanier entre l’UE et la Turquie (mais aussi les aides de préadhésion octroyées à la Turquie) apparait également comme une proposition de bon sens. Si elle rencontre aujourd’hui l’opposition de la plupart des membres de l’UE, il est sans doute utile pour la France de continuer à chercher à convaincre ses alliés sur de telles propositions. Les faits semblent montrer la France pourrait être plus efficace sur les temps plus courts grâce à des actions diplomatiques unilatérales (invoquer le droit de veto au sein des instances de l’UE), bilatérales ou avec des coalitions restreintes mais fermes et ciblées.

Sur le plan de la sécurité militaire et la défense des zones économiques exclusives de la Grèce en Méditerranée orientale, l’attitude ferme de la France en soutenant la Grèce au niveau bilatéral a été payante, puisque la Grèce a commandé des avions Rafale et prend donc son allié au sérieux pour la défendre vis-à-vis de la Turquie. Le renforcement d’une coalition de pays méditerranéens opposés aux visées de la Turquie est une voie à poursuivre même si son impact n’a pas encore été décisif. Les alliances ad hoc avec la Grèce, mais aussi l’Egypte, les Emirats Arabes Unis (EAU) sont aussi judicieuses.   

Enfin la recherche de synergies avec les autres grandes puissances au conseil de sécurité de l’ONU, en particulier les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie, voir la Chine serait également une option.  

Le seul Etat qui a été jusqu’à présent en mesure d’endiguer la Turquie est la Russie, en raison d’une attitude ferme sous le seuil de l’affrontement direct (les alliés islamistes de la Turquie en Syrie ont été bombardés à diverses reprises par la Russie). La rivalité russo-turque se renforce et la Russie se trouverait ainsi moins seule dans son objectif de contenir la Turquie si elle pouvait compter sur d’autres alliés comme la France. Dans le cas contraire, la Russie sera tentée de s’accorder avec la Turquie contre les intérêts des États européens.

La posture des Etats-Unis reste aussi le facteur central pour la Turquie. Son attitude plus conciliante est liée au changement de présidence aux Etats-Unis plutôt qu’aux sanctions symboliques de l’UE. Si le nouveau président américain Joe Biden semble vouloir renouer avec les Européens, c’est le moment propice pour convaincre la nouvelle administration que l’impunité et l’hostilité de la Turquie nuisent aux intérêts de la France mais aussi aux intérêts de l’Europe tout entière.

Enfin, il est urgent d’empêcher les diasporas turques présentes sur le territoire de l’Union européenne d’agir comme levier pour le président turc Recep Tayyip Erdoğan[116]. La complaisance, voire le soutien des partis politiques en France vis-à-vis de cet entrisme turc devrait aussi être combattu sans relâche[117]. Cela passe par la maitrise de l’immigration et la réhabilitation des politiques d’assimilation. Le soutien à l’opposition politique[118] au parti de Recep Tayyip Erdoğan serait aussi une option pour répondre à l’ingérence turque en Europe.

A plus long terme, la négociation d’une nouvelle architecture de sécurité à l’échelle européenne et eurasienne incluant la Russie, mais aussi la Turquie ouvrant la voie à une stabilisation des zones d’influences entre grandes puissances, est un objectif à promouvoir dans la durée pour la France et l’Europe.  

SOURCES

[1] https://www.sueddeutsche.de/kultur/debatte-bizim-kiez-unser-kiez-1.2953146

[2] Lors d’un sommet à Berlin le 28 septembre 2018, le président turc Recep Tayyip Erdoğan avait répété les paroles du premier chancelier allemand Otto von Bismarck qui avait souligné que « L’amour des Turcs et des Allemands les uns pour les autres est si vieux, que jamais il ne sera brisé », (“Die Liebe der Türken und Deutschen zueinander ist so alt, daß sie niemals zerbrechen wird »[2]). https://www.youtube.com/watch?v=-x7QNU0UOkM

[3]  https://www.sueddeutsche.de/kultur/debatte-bizim-kiez-unser-kiez-1.2953146

[4] L’alliance franco-russe (1892) et l’entente cordiale entre la France et la Grande-Bretagne (1904)

[5] Le projet de chemin de fer Berlin-Bagdad lui ferait atteindre le Golfe Persique. Les Britanniques craignent ce projet, car cette voie terrestre permettrait à l’Allemagne de s’affranchir de sa domination des voies maritimes contrôlées par la Grande-Bretagne et avoir accès aux champs pétrolifères qui deviennent stratégiques. En 2013, c’est une mission militaire allemande qui arrive à Constantinople pour réformer l’armée de terre, tandis les Britanniques sont en charge de la marine. Les empires russe et britannique voient d’un mauvais œil, à cause de leurs propres ambitions, la perspective d’un contrôle des détroits par l’Allemagne derrière l’Empire ottoman.

[6] Christopher Clarke, Les Somnambules, été 1914, Comment l’Europe a marché vers la guerre, 2013, Flammarion, 668 p. 

[7] https://www.sueddeutsche.de/kultur/debatte-bizim-kiez-unser-kiez-1.2953146

[8] Un plan d’invasion de la Turquie par l’armée allemande a aussi été élaboré en 1942, pour sécuriser le flanc sud du Caucase et avoir accès au pétrole de la mer caspienne à Bakou, mais il ne fût jamais mis à exécution avec notamment l’enlisement à Stalingrad.  

[9] Lire à ce propos le numéro Conflits n°30, Le réveil turc, vers un nouvel empire ? novembre-décembre 2020.

[10] L’ancien ministre allemand Wolfgang Schaüble soulignait en 2010, « même s’il semble que bon nombre d’Européens n’en aient pas suffisamment conscience : la fin de la guerre froide n’a pas supprimé la raison d’être de l’intégration européenne. Bien au contraire : l’Europe n’est pas seulement un marché intérieur réussi et une grande réponse à la mondialisation. L’Europe doit comprendre qu’elle ne pourra jouer un rôle dans les conflits mondiaux de demain, qui sont en fait des luttes de répartition entre les grands espaces politiques, qu’à la double condition de s’exprimer d’une seule voix et d’aborder ses problèmes structurels de manière crédible et visible. » Discours du ministre fédéral des finances, Dr. Wolfgang Schäuble prononcé à l’Université Paris-Sorbonne, le 2 novembre 2010. La référence à l’Europe intégrée comme alliance de pouvoir vis-à-vis des acteurs extérieurs est explicite.

[11] Il faut préciser que la posture allemande est difficile à comprendre car sa complexité provient des différents héritages historiques, et ses contradictions internes ; et son héritage historique de la méfiance vis-à-vis de la puissance après la défaite de 1945, qui pèse comme un traumatisme.  Si la Turquie a une géopolitique explicite, celle de l’Allemagne est implicite.  Pierre-Emmanuel Thomann, Le couple franco-allemand et le projet européen, Représentations géopolitiques, unité et rivalités, L’Harmattan, 2015, 660 pages.

[12] L’Allemagne positionne donc le territoire de l’UE comme un Rimland, en alliance avec les Etats-Unis afin qu’ils maintiennent leur présence militaire et économique en Europe afin de contrer les puissances continentales comme la Russie, selon la vision euro-atlantiste.  Le « Rimland » est la ceinture littorale qui entoure le continent eurasien. Son contrôle par les Etats-Unis permet de constituer un espace tampon autour du « Heartland », cœur de l’espace eurasien. Cette doctrine géopolitique est l’héritière de la vision du géopoliticien américain Nicolas Spykman (1893-1943) qui a reformulé la doctrine de Halford John Mackinder (1861-1947). La Turquie détient un place stratégique particulière dans ce dispositif au flanc sud de l’OTAN contre la Russie, mais aujourd’hui comme pivot après la Guerre froide vers le Caucase, le Moyen-Orient, la Méditerranée.

[13] L’absence de pressions sur la Turquie de la part des États-Unis ainsi que de l’OTAN et l’UE renforce l’hypothèse d’un assentiment implicite des États-Unis et de ses alliés proches vis à vis de l’offensive turco-azérie.

[14] https://frontpopulaire.fr/o/Content/co294612/olivier-delorme-l-allemagne-est-l-allie-du-regime-islamo-imperialiste-d-erd

[15] Friedrich Püttmann, Walter Glos, Konflikte über Konflikte: Wie kann Deutschland mit der Türkei noch umgehen? Konrad Adenauer Stiftung, 2020, https://www.kas.de/de/laenderberichte/detail/-/content/konflikte-ueber-konflikte-wie-kann-deutschland-mit-der-tuerkei-noch-umgehen

[16] Un sondage du media Die Welt en 2017 a montré que 89.4 % des Allemands étaient en faveur d’un arrêt des négociations d’adhésion avec la Turquie. Ehttps://www.welt.de/politik/ausland/article167907656/Deutsche-wollen-Abbruch-der-tuerkischen-EU-Beitrittsverhandlungen.html

[17] Il s’agit d’abord de montrer que l’adhésion des pays des Balkans, amènera plus de prospérité à ses citoyens et par effet domino, préparer les opinions à une expansion vers les pays du Partenariat oriental à long terme.

[18] https://www.welt.de/politik/deutschland/article157727376/Wie-die-Tuerkei-islamistischen-Terroristen-hilft.html

[19] La Russie est intervenue militairement en Syrie, en torpillant les plans de la Turquie.

[20] https://www.senat.fr/rap/r18-629/r18-6294.html

[21] En 2018, la Turquie a envahi la Syrie voisine en violation du droit international. Il y a eu des expulsions et un nettoyage ethnique de la population kurde, qui se poursuit à ce jour. En Libye, la Turquie a continuellement violé l’embargo des Nations Unies sur les armes. Elle a envoyé de l’aide militaire, des troupes et des mercenaires syriens en Libye. Dans le cadre de sa doctrine d’expansion en Méditerranée orientale (Plan bleu), la stratégie d’escalade de la Turquie en Méditerranée orientale menace particulièrement la sécurité nationale et européenne. En avril, la Turquie a envoyé un navire de forage accompagné d’un navire de guerre naval dans la zone de commerce extérieur chypriote pour explorer les gisements de gaz naturel. Le 10 juin, des navires de guerre turcs se sont montrés menaçants vis à vis d’un navire de la marine française alors qu’il voulait inspecter un navire turc dans le cadre de la mission OTAN Sea Guardian – dans laquelle les forces armées allemandes sont également impliquées – afin de se conformer à l’embargo sur les armes de l’ONU contre la Libye pour contrôle.

[22] A la suite du coup d’Etat en Turquie contre le président Recep Tayyip Erdoğan en 2016, la Turquie a exigé que les soldats turcs de l’OTAN ayant demandé l’asile en Allemagne soient extradés, mais devant le refus du gouvernement allemand, les délégations de députés allemands n’ont pas été autorisées à visiter les soldats allemands sur la base de l’OTAN d’Incirlik. Le gouvernement a décidé de retirer les 360 soldats allemands de la base d’Incirlik, en juin 2017 et les envoyer en Jordanie.

[23] https://www.france24.com/fr/20200820-la-turquie-seule-ombre-au-tableau-de-la-rencontre-merkel-macron-%C3%A0-br%C3%A9gan%C3%A7on

[24] Dans le cadre cette initiative, les Italiens et les Espagnols ne sont pour l’instant pas prêts à aller aussi loin que la France dans la création d’un rapport de forces avec la Turquie.

[25] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/erdogan-a-merkel-la-turquie-veut-ouvrir-une-nouvelle-page-avec-l-europe-20201218

[26] La question de l’élargissement de l’UE à la Turquie, a surtout été débattue du point de vue du régime politique et non pas de la géopolitique. L’idée était de démocratiser et d’européaniser la Turquie, mais aussi de faire de la Turquie un pont entre Occident et Islam, puisque la Turquie était considérée comme le modèle de démocratie musulmane. La Turquie, a aussi été l’objet de rivalité des Etat européens, pour faire avancer leur propre vision de l’Europe ou infirmer celles de leurs concurrents. Les enjeux géopolitiques ont été escamotés. Quelles sont les limites de l’Europe ? L’élargissement de l’UE à la Turquie aurait fait éclater l’UE telle qu’elle fonctionne et introduit un énorme déséquilibre à cause de la démographie turque et de son poids géopolitique.

[27] Il faut rappeler que la Turquie ne reconnait toujours pas la République de Chypre, et l’UE ne reconnait pas la république de Chypre du Nord tandis que l’armée turque occupe ainsi de facto un territoire d’un Etat-membre de l’UE.

[28] Aujourd’hui, les partis politiques sont en général opposés ou sceptiques vis-à-vis de l’entrée de la Turquie dans l’UE. Dans le traité de coalition (CDU/CSU/SPD) de 2018, il est spécifié que « la Turquie est un partenaire important pour l’Allemagne et un voisin de l’UE, avec qui nous entretenons des relations diverses. C’est pourquoi nous avons un intérêt particulier à maintenir de bonnes relations avec la Turquie », indique le document. « La situation de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme » en Turquie s’est « détériorée depuis longtemps », écrivent l’Union et le SPD. C’est pourquoi nous ne voulons fermer aucun chapitre ni en ouvrir de nouveaux dans les négociations d’adhésion. La libéralisation des visas ou l’élargissement de l’union douanière n’est possible que si la Turquie remplit les conditions nécessaires. »

Pour les partis les plus ouverts à la Turquie, les négociations d’adhésion avec la Turquie ne doivent pas être intensifiées davantage, selon die Linke et le parti des Verts (Bündnis/Die Grünen) refuse de rompre les négociations d’adhésion à l’UE car cela enverrait un mauvais signal aux forces démocratiques du pays.

[29] Il comprend l’axe énergétique pétrolier Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) et l’axe gazier Bakou-Tbilissi-Erzurum et le Trans-Anatolian Natural Gas Pipeline TANAP).

[30] https://www.fpri.org/article/2020/11/the-realist-victory-in-nagorno-karabakh/

[31] Il faut revenir un peu en arrière pour comprendre l’importance de la Turquie pour l’Allemagne sur la question énergétique.

En 2007, la coalition allemande avec Angela Merkel pour chancelière a initié une nouvelle Ostpolitik, bien que la Turquie ne soit pas ciblée de manière prioritaire, elle jouait un rôle important. Dans l’esprit des Allemands, une nouvelle Ostpolitik européenne était destinée à obtenir une symétrie avec le processus euro-méditerranéen dit de « Barcelone » sur le flanc méridional de l’Union européenne. L’enjeu majeur de le nouvelle Ostpolitik est l’orientation géopolitique des pays de la « Zwischeneuropa », « l’Europe de l’entre-deux », l’Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie, les pays du Caucase du Sud et l’Asie centrale, mais aussi la Russie. L’Allemagne est au centre, elle est une puissance commerçante et sa stratégie de stabilisation se réfère à une puissance civile. Les Allemands, ancrés à l’Ouest poursuivent un objectif de stabilisation à l’Est, avec celui plus lointain de compléter l’unification du continent européen. La stratégie allemande s’est s’inscrite dans le prolongement des efforts de l’Union européenne pour se rapprocher de son voisinage sur le flanc oriental. L’initiative a donc dès le départ été présentée comme une initiative européenne et non pas seulement allemande. La stratégie allemande avait pour objectif de renforcer le partenariat avec la Russie notamment l’accès aux ressources dont la Russie regorge en échange des investissements allemands pour sa modernisation après la situation difficile dans laquelle elle s’est retrouvée à la suite de la chute de l’URSS. Cette orientation vers la Russie permettait dans l’esprit des Allemands d’avoir une marge de manœuvre plus grande pour avoir un accès plus direct aux ressources d’Asie centrale et du Caucase, et diversifier les corridors énergétiques.

La Turquie dans cette configuration détient une position stratégique de hub pour l’accès aux ressources dans différents directions, Caucase, Asie centrale mais aussi Moyen-Orient[31] (les projets de gazoducs évitant la Russie doivent passer par la Turquie. Les ressources en Russie et en Asie centrale font l’objet d’une concurrence rude entre les pays de la région, et les Européens se trouvent en compétition avec les pays asiatiques dont la croissance nécessite toujours plus de ressources minières. A cette compétition pour l’accès aux hydrocarbures, viennent s’ajouter les rivalités ethniques et les rivalités entre les différentes puissances sur le continent eurasien. Les États-Unis cherchent à désenclaver les pays d’Asie centrale afin qu’ils ne dépendent plus de la Russie pour l’évacuation de leurs hydrocarbures, tandis que les Chinois font une percée avec la construction d’un gazoduc du Turkménistan jusqu’en Chine en service depuis 2009.

 

[32] Il a été lancé à l’initiative de l’Autrichien OMV en association avec l’Allemand RWE, Bulgarian Energy Holding, le Hongrois MOL, le Roumain Transgaz et le Turc BOTAS sur la base d’une participation à hauteur de 16,67 % des parts pour chacun.

[33] Campagnola François, « Le corridor énergétique Sud après l’échec du projet Nabucco », Géoéconomie, 2014/4 (n° 71), p. 141-147. DOI : 10.3917/geoec.071.0141. URL : https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2014-4-page-141.htm

[34] La chancelière Angela Merkel s’est rendue en Azerbaïdjan pour des entretiens à propos d’un accroissement de l’approvisionnement en gaz de la mer Caspienne en Europe, alors que les États-Unis intensifient la pression sur Berlin au sujet du gazoduc Nord Stream 2 qui acheminera directement du gaz de Russie vers l’Allemagne.

  https://www.ft.com/content/f1e8c7c2-a524-11e8-8ecf-a7ae1beff35b

[35] https://www.euractiv.com/section/azerbaijan/news/germany-provides-e1-2-billion-loan-for-southern-gas-corridor/

[36] https://www.euractiv.com/section/azerbaijan/news/europes-southern-gas-corridor-almost-ready-says-azebaijans-socar/

[37] Ce corridor fonctionne aujourd’hui grâce au nouveau gazoduc Trans-Adriatric pipeline qui transporte du gaz d’Azerbaïdjan jusqu’en Italie mais ne représente que 2 % de la consommation européenne. La société TAP est détenue par l’italien Snam (20 %), le britannique BP (20 %), l’azerbaïdjanais Socar (20 %), le belge Fluxys (19 %), l’espagnol Enagas (16 %) et le suisse Axpo (5 %).

Toutefois, sans gazoduc traversant la Caspienne ce corridor ne constitue pas une alternative aux importations énergétiques en provenance de Russie qui vont augmenter. L’UE importe chaque année environ 250 milliards de mètres cubes de gaz de l’étranger, soit 70 % de sa consommation, et près de 40 % vient de Russie.

Le développement de ce corridor dépend de l’accès aux ressources d’Asie centrale, voire de l’Iran si le statut de la mer Caspienne se clarifient et les relations difficiles avec l’Iran aussi.    

La société TAP est détenue par l’italien Snam (20 %), le britannique BP (20 %), l’azerbaïdjanais Socar (20 %), le belge Fluxys (19 %), l’espagnol Enagas (16 %) et le suisse Axpo (5 %).

[38] https://www.marianne.net/monde/geopolitique/union-europeenne-pourquoi-lallemagne-bloque-les-demandes-de-sanctions-francaises-contre-la-turquie

[39] https://fr.euronews.com/2020/12/15/l-europe-n-inflige-pas-de-veritables-sanctions-a-la-turquie

[40] https://www.dw.com/en/german-government-bans-weapons-exports-to-turkey/a-50807998

[41] https://www.euractiv.fr/section/politique/news/eu-top-diplomat-keeps-mum-over-turkey-arms-embargo/

[42] https://www.france24.com/fr/20191014-ue-embargo-ventes-armes-turquie-operation-syrie

[43]  La libération du journaliste germano-turc Deniz Yücel, le 16 février 2018, après plus d’un an de prison, aurait fait partie d’un accord entre le gouvernement allemand et le gouvernement turc pour appliquer une dérogation dans l’embargo allemand sur les armes, notamment le renforcement des chars Léopards de l’armée turque utilisée en Syrie.    https://www.spiegel.de/international/germany/arms-for-hostage-germany-explores-yuecel-deal-with-turkey-a-1189197.html

[44] https://www.sueddeutsche.de/politik/tuerkei-deutschland-waffenexporte-2019-1.4644309

[45] https://www.capital.fr/economie-politique/ventes-darmes-a-la-turquie-un-gros-manque-a-gagner-pour-la-france-1352649

[46] https://dip21.bundestag.de/dip21/btp/19/19207.pdf

[47] https://www.auswaertiges-amt.de/en/aussenpolitik/laenderinformationen/tuerkei-node/turkey/228290

[48] https://www.destatis.de/DE/Themen/Wirtschaft/Aussenhandel/Tabellen/rangfolge-handelspartner.pdf?__blob=publicationFile

[49] https://www.destatis.de/DE/Themen/Wirtschaft/Aussenhandel/Tabellen/rangfolge-handelspartner.pdf?__blob=publicationFile

[50]https://www.destatis.de/DE/Themen/Wirtschaft/Aussenhandel/Tabellen/rangfolge-handelspartner.pdf?__blob=publicationFile

[51] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/TR/commerce-exterieur-turc

[52] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/TR/commerce-exterieur-turc

[53] https://www.bpb.de/internationales/europa/tuerkei/253189/heimat-almanya

[54] https://www.lemonde.fr/europe/article/2008/02/13/angela-merkel-et-recep-tayyip-erdogan-s-affrontent-sur-l-integration-des-turcs-d-allemagne_1010764_3214.html

[55] Un réseau d’imams turc a été accusé d’espionnage pour le compte de la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan,

[56] En 2017, l’instrumentalisation des minorités turques en Allemagne lors des meeting électoraux organisés par le parti de Recep Tayyip Erdoğan n’a pas été au départ suivi d’une interdiction de la visite des ministres d’Erdogan, à l’inverse de ce qui a été fait en Autiche et aux Pays-Bas, lorsque certaines municipalités allemandes les ont interdites, Recep Tayyip Erdoğan a accusé Angela Merkel de « comportement nazi » et l’UE « d’alliance de croisés ». Le ministre de l’intérieur Thomas de Maizières a ensuite imposé des conditions (ne pas dénigrer l’ordre constitutionnel allemand) à ces évènement et l’AKP (parti politique qui soutient Erdogan) a décidé d’annuler ces réunions.

[57] https://www.valeursactuelles.com/societe/alexandre-del-valle-lincroyable-business-de-limmigration-clandestine-115895

[58] https://www.la-croix.com/Religion/Protestantisme/500-ans-Reforme-Angela-Merkel-tolerance-lesprit-lEurope-2017-11-01-1200888705

[59] La Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité et vice-présidente de la Commission, Federica Mogherini, a défendu l’ouverture des frontières aux migrants. Cette crise est une aubaine pour les intégrationnistes européens dont la vision est une Union européenne humanitariste désireuse de donner une bonne image d’elle-même. Cette représentation provient surtout d’un sentiment de culpabilité postcoloniale, d’idéal pacifiste et « droit-de-l’hommiste ». Leur vision de l’Union européenne est aussi celle d’un « empire des normes » basé sur un juridisme utopique qui insiste sur les droits de réfugiés et non les devoirs, tout cela en phase avec l’ultralibéralisme économique. Le matraquage par les médias de la photo du petit Aylan mort sur la plage et l’instrumentalisation politique soudaine de ce drame par la classe politique a consisté à briser toute opposition à cette vague de clandestins en culpabilisant les citoyens.    https://www.liberation.fr/monde/2015/09/15/federica-mogherini-si-nous-refoulons-les-refugies-quel-message-envoyons-nous-au-monde_1383214/

[60] Les migrants sans papiers proviennent de Syrie mais aussi d’Afghanistan et d’Irak, mais aussi de nombreux migrants économiques d’Afrique, du Moyen Orient et d’Asie du Sud mais aussi des Balkans, notamment du Kosovo https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/09/04/comprendre-la-crise-des-migrants-en-europe-en-cartes-graphiques-et-videos_4745981_4355770.html

[61] Les routes migratoires principales :  La Méditerranée orientale : de la côte turque, à l’Allemagne via la Grec, la Macédoine, la Serbie, la Croatie, la Hongrie, la Slovénie et l’Autriche. Les routes occidentales des Balkans : de la zone frontalière turco-bulgare ou gréco-turque à la Hongrie via les pays des Balkans occidentaux. La Méditerranée centrale : de la Libye à l’Italie ou Malte par voie maritime

[62] Les routes migratoires principales :  La Méditerranée orientale : de la côte turque, à l’Allemagne via la Grec, la Macédoine, la Serbie, la Croatie, la Hongrie, la Slovénie et l’Autriche. Les routes occidentales des Balkans : de la zone frontalière turco-bulgare ou gréco-turque à la Hongrie via les pays des Balkans occidentaux. La Méditerranée centrale : de la Libye à l’Italie ou Malte par voie maritime.

[63] https://www.atlantico.fr/article/decryptage/10-raisons-pour-lesquelles-la-crise-des-migrants-explose-maintenant-alain-chouet-roland-hureaux

[64] https://www.latribune.fr/opinions/blogs/le-blog-des-arvernes/comment-mettre-fin-au-devoiement-de-la-demande-d-asile-605692.html

[65] https://eeradicalization.com/fr/infiltration-djihadiste-des-flux-migratoires-vers-leurope-le-point-sur-les-evenements-recents/

[66]« Les pays de l’UE ont connu en 2015 un niveau record de demandes d’asile, avec près de 1,26 million de primo-demandeurs enregistrés, après 562.700 en 2014, selon Eurostat (ces chiffres peuvent inclure des demandes déposées dans plusieurs pays par les mêmes personnes).

En 2016, le niveau est resté extrêmement élevé, avec 1,2 million de premières demandes enregistrées, déposées principalement, comme l’année précédente, par des Syriens, Afghans et Irakiens.

En cumulant 2015 et 2016, l’Allemagne a enregistré à elle seule plus de 1,16 million de premières demandes sur les 2,46 millions dans l’UE par pour ces deux années, selon les données d’Eurostat. »

https://www.nouvelobs.com/societe/20170616.AFP5380/crise-migratoire-en-europe-des-chiffres-pour-comprendre.html

[67] https://www.rtbf.be/info/monde/detail_wir-schaffen-das-il-y-a-5-ans-angela-merkel-ouvrait-les-frontieres-de-l-allemagne-a-des-milliers-de-migrants?id=10572763

[68] « L’expérience que les Allemands eux-mêmes ont eue de l’émigration sous le IIIe Reich mais plus encore de l’exode à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, une expérience qui s’est traduite dans de nouveaux récits au lendemain de l’unification. Mais surtout, la grande majorité des Allemands n’a pas oublié que l’unification dont on fête cette année le 25e anniversaire était elle-même le résultat de la fuite de centaines de milliers d’Allemands de l’Est de la RDA à l’été et à l’automne 1989, jusqu’à la chute du Mur le 11 novembre ». Jérôme Vaillant, Editorial, l’Allemagne de Merkel et les réfugiés, Allemagne d’aujourd’hui 2015/3 (N° 213), pages 3 à 6  https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2015-3-page-3.htm

[69] https://www.spiegel.de/politik/ausland/fluechtlingskrise-auslaendische-medien-loben-deutschland-als-vorbild-a-1050931.html

[70] https://www.lexpress.fr/actualites/1/actualite/angela-merkel-huee-en-arrivant-a-un-centre-de-refugies_1709701.html

[71] Lors d’un entretien, le chercheur allemand Hans Stark, en poste à l’IFRI a justifié ainsi la décision d’ouverture des frontières par une situation d’urgence et des situations inextricables du point de vue humanitaire et l’obligation pour l’Allemagne d’agir ainsi pour son image après les désaccords sur la Grèce ou la chancelière était perçu comme très rigide.  L’Allemagne avait aussi la nécessité de pallier à sa démographie déclinante et devenir une terre d’immigration. Il a aussi mentionné un rapport interne aux Nations Unies, qui proposait d’accueillir plus de 20 millions de personnes pour pallier aux problèmes démographiques.   https://www.rfi.fr/fr/emission/20150909-accueil-refugies-allemagne-donne-exemple

[72] https://www.lepoint.fr/culture/la-meme-culture-pour-tous-le-debat-fait-controverse-en-allemagne-22-09-2017-2158881_3.php

[73] « L’exception » de l’ouverture de la frontière s’est transformée en un état d’urgence d’un mois parce que personne n’avait la force politique de mettre fin à l’exception comme prévu. La frontière est restée ouverte, non pas parce qu’Angela Merkel l’a délibérément décidé, ou parce que quelqu’un d’autre l’a décidé au gouvernement fédéral. À l’heure cruciale, il n’y a tout eu simplement personne qui ai voulu assumer la responsabilité de la fermeture. »

http://hd.welt.de/politik-edition/article162585054/Das-Bild-das-es-nicht-geben-sollte.html

[74] https://atlantico.fr/article/decryptage/appel-a-la-loyaute-de-la-communaute-turque-en-allemagne-quand-l-approche-politique-d-angela-merkel-bascule-totalement-sur-le-theme-de-l-immigration-edouard-husson-

[75] Pour une analyse détaillée, lire l’article de  Gwénola Sebaux, La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise, Allemagne d’aujourd’hui 2017/4 (N° 222)   https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2017-4-page-94.htm

[76] http://www.faz.net/aktuell/politik/fluechtlingskrise/asyldebatte-seehofer-attackiert-merkel-abermals-13833633.html

[77] La création de centres de transit près des frontières, proposition de la CSU pour tarir le flot de migrants, a été refusée, notamment par le SPD. Des centres d’enregistrement seraient ouverts sur le territoire allemand, mais les conditions d’octroi du statut de réfugié et le droit au regroupement familial devaient être rendus plus difficiles sans remettre en cause le principe d’ouverture. La mise en œuvre effective de ces mesures devant le flot ininterrompu de réfugiés n’a pas été démontrée.

 https://www.zeit.de/politik/2015-11/spd-cdu-csu-fluechtlinge-gipfel

[78] https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Merkel-refuse-un-quota-annuel-de-migrants-mais-ce-sera-un-enjeu-des-electionsde-2017-2016-12-21-1200812132

[79] https://www.lemonde.fr/europe/article/2015/11/13/angela-merkel-revient-sur-sa-politique-d-ouverture-aux-refugies_4809469_3214.html

[80] Angela Merkel a déclaré que « ce que nous vivons est quelque chose qui va continuer à nous occuper dans les années à venir a affirmé ce lundi la chancelière, quelque chose qui va nous changer, et nous voulons que le changement soit positif ».  La chancelière s’est félicitée que « l’Allemagne soit devenue un pays avec lequel les gens associent de l’espoir. C’est quelque chose de très précieux, si l’on regarde notre histoire. »  http://www.rfi.fr/europe/20150907-arrivee-refugies-allemagne-va-changer-le-pays-refugies-merkel-accueil-syrie-soudan-e

[81] La Hongrie a été le premier pays européen à bloquer la route des migrant en provenance des Balkans en érigeant une clôture barbelée de 175 km entre sa frontière et la Hongrie (?).

[82] Un accord temporaire à l’arrachée et à la légalité douteuse (sans tenir compte des oppositions, la majorité qualifiée a été imposée par le conseil de ministres de l’intérieur avec le soutien de l’Allemagne et de la France) avait été finalement trouvé le 22 septembre 2015 à l’UE.

Le mécanisme de distribution proposé par la Commission européenne a provoqué une division entre les Etats membres. Plusieurs pays d’Europe centrale comme la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie avaient voté contre. La Finlande s’est abstenue. La Pologne, qui dans un premier temps s’y était opposée, a finalement voté pour. La Slovaquie et la Hongrie ont déposé une plainte à la Cour de justice européenne contre la décision prise par le conseil de ministres de l’intérieur à la majorité qualifiée le 22 septembre pour redistribuer 120 000 réfugiés, alors que quatre Etats membres y étaient opposés. Sur des questions aussi sensibles, les décisions étaient prises jusqu’à présent par consensus, et ce nouveau mode opératoire aboutit donc à un problème grave de légitimité. Dans les traités, le principe de quotas obligatoires pour la répartition des réfugiés est également inexistant. Selon l’accord, 120 000 réfugiés devaient être répartis dans les pays à l’exception de la Hongrie. 66 000 personnes devraient donc trouver asile dans un premier temps puis les 54 000 autres seront réparties à leur tour.

– https://www.bundesregierung.de/breg-fr/dossier/120-000-r%C3%A9fugi%C3%A9s-seront-r%C3%A9partis-en-europe-431882
Cette décision a été imposée à la majorité qualifiée à partir d’une proposition franco-allemande.   Elle n’a cependant pas pu être mise en œuvre dans sa totalité et a provoqué une profonde fracture est-ouest dans l’UE qui perdure jusqu’à aujourd’hui. La cour de justice a rendu son verdict et souligné que la Slovaquie et la Hongrie ne peuvent pas refuser le mécanisme de relocalisation obligatoire au sein de l’UE des demandeurs d’asile depuis la Grèce et l’Italie.

[83] https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/03/18/eu-turkey-statement/

[84] https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/01/23/face-aux-refugies-angela-merkel-seule-en-europe_4852391_3214.html

[85] https://www.challenges.fr/monde/erdogan-aurait-menace-en-novembre-d-inonder-l-ue-de-migrants_40537

[86] https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/13/turquie-erdogan-menace-a-nouveau-d-ouvrir-la-porte-de-l-europe-aux-refugies-syriens_5509893_3210.html

[87] https://www.lesoir.be/252787/article/2019-10-10/offensive-turque-en-syrie-erdogan-menace-leurope-denvoyer-des-millions-de

[88] https://www.sudouest.fr/2020/03/03/frontiere-grece-turquie-erdogan-menace-l-europe-de-millions-de-migrants-un-chantage-inacceptable-7270423-4803.php?nic

[89] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/07/l-allemagne-veut-tout-faire-pour-empecher-une-nouvelle-vague-migratoire_6032186_3210.html

[90] L’Allemagne a soutenu des sanctions contre la Biélorussie qui ne menace pas l’Europe pour contrer la Russie, mais s’est d’abord opposée aux sanctions contre la Turquie dans le cadre du différent maritime avec la Grèce et Chypre avant d’accepter des mesures de portée symbolique.   

[91] http://www.bruxelles2.eu/2020/10/la-formation-des-garde-cotes-libyens-aux-mains-des-turcs-mauvais-signal-pour-les-europeens/

[92] Le sommet européen préalable des 7/8 mars consacré à la crise migratoire fut d’abord un échec car il n’y avait pas d’accord sur la manière de procéder entre les Etats membres face à deux propositions contradictoires :

Le « plan Merkel » et le « plan Tusk ». Le plan initial de Tusk était basé sur une négociation entre les ambassadeurs de l’UE et avait préparé une déclaration qui devait être adoptée lors du sommet. Les chefs d’État de l’UE étaient censés souligner qu’ils « fermeraient la route des Balkans dans les prochains jours », annonçant et mettant fin aux flux chaotiques de réfugiés. Angela Merkel a torpillé ce communiqué poussé par le président du Conseil Donald Tusk et a dévoilé le matin même du sommet de l’UE un nouveau plan (« plan Merkel ») négocié de manière confidentielle la veille entre la chancelière allemande Angela Merkel, Mark Rutte représentant la présidence néerlandaise, Jean-Claude Juncker président de la Commission européenne et Ahmet Davutoglu, ministre des Affaires étrangères de Turquie. Leur objectif était de bloquer la proposition Tusk et de la remplacer par le plan germano-turc :

[93] https://www.atlantico.fr/article/decryptage/10-raisons-pour-lesquelles-la-crise-des-migrants-explose-maintenant-alain-chouet-roland-hureaux

[94] La France, l’Australie, le Canada, le Danemark, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Norvège et l’Espagne, mais aussi l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Maroc, la Jordanie, Bahreïn, le Qatar et plus tardivement, la Turquie

[95] https://www.bfmtv.com/replay-emissions/bfm-story/daesh-profite-des-frappes-russes-pour-avancer-vers-alep_VN-201510090116.html

[96] Chaque camp revendiquera plus tard la victoire contre l’Etat islamique https://www.rtbf.be/info/monde/detail_victoire-sur-l-ei-la-coalition-internationale-fulmine-contre-moscou?id=9788118

[97] Mais aussi le soutien de la Turquie aux rebelles du Caucase du Nord dans les années 1990/2000 lorsque la Russie combattait les terroristes tchétchènes https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/avion-abattu-les-turcs-vont-regretter-ce-qu-ils-ont-fait-menace-poutine_1742119.html

[98] https://www.lorientlejour.com/article/956950/la-russie-prete-a-constituer-un-etat-major-commun-anti-ei-incluant-usa-france-et-turquie.html

[99] https://www.ladepeche.fr/article/2016/06/27/2373885-avion-de-chasse-abattu-erdogan-s-excuse-aupres-de-poutine.html

[100] https://www.sueddeutsche.de/politik/aussenansicht-ein-plan-b-fuer-merkel-1.2828636

[101] Il poursuit : « Mais si la Turquie et l’Union européenne ont plus besoin l’une de l’autre qu’elles n’ont eu besoin l’une de l’autre depuis très longtemps, aucune ne fait confiance à l’autre ni n’est prête à offrir des faveurs lorsqu’il s’agit d’accueillir des réfugiés. ».  « Ils doivent fonder leur coopération sur des intérêts et leurs engagements sur des promesses très spécifiques, concrètes, mesurables et viables ».  Concernant la réinstallation des réfugiés dans l’UE et l’aide aux millions de personnes déjà en Turquie. « Un accord dans ce sens, qui a été esquissé mais non conclu, doit vraiment être conclu de toute urgence », déclare Knaus. « Sinon, la Turquie et l’Allemagne ainsi que les autres pays accueillant des réfugiés souffriront énormément de l’émergence d’une nouvelle extrême droite populiste anti-réfugiés, anti-musulmane, anti-turque et pro-Poutine, qui profite de cette crise dans de nombreux pays de l’UE ».   https://www.rfi.fr/en/europe/20160208-confusion-reigns-over-eu-turkey-plans-syrian-refugees

[102] https://eeradicalization.com/fr/infiltration-djihadiste-des-flux-migratoires-vers-leurope-le-point-sur-les-evenements-recents/

[103] Politico a obtenu une copie d’un rapport d’Eurojust. https://www.politico.eu/article/eurojust-report-raises-doubts-about-eu-turkey-migration-deal-refugee-crisis-asylym-syria-war/

[104] https://www.atlantico.fr/article/decryptage/turquie-syrie-russie-europe–comment-les-migrants-sont-devenus-la-nouvelle-arme-non-conventionnelle-utilisee-par-presque-tous-jean-bernard-pinatel-alain-coldefy-caroline-galacteros

[105]https://www.atlantico.fr/article/decryptage/turquie-syrie-russie-europe–comment-les-migrants-sont-devenus-la-nouvelle-arme-non-conventionnelle-utilisee-par-presque-tous-jean-bernard-pinatel-alain-coldefy-caroline-galacteros

tps://www.france24.com/fr/20160302-otan-general-breedlove-russie-syrie-refugies-arme-contre-europe

[106]  https://www.atlantico.fr/article/decryptage/turquie-syrie-russie-europe–comment-les-migrants-sont-devenus-la-nouvelle-arme-non-conventionnelle-utilisee-par-presque-tous-jean-bernard-pinatel-alain-coldefy-caroline-galacteros

[107] https://www.esiweb.org/news/esi-presentation-rome-plan-refugee-crisis-central-mediterranean

[108] https://www.zdf.de/nachrichten/politik/migrationsforscher-knaus-eu-fluechtlingspakt-100.html

[109] Pour avoir une idée de la palette des activités de cet organismes : 

https://www.esiweb.org/news?page=0

[110] https://www.esiweb.org/news/war-and-peace-europe-and-balkans-esi-lecture-nato-defence-college

[111] Le rôle de ce think tank est de contrer Viktor Orban jusqu’à aujourd’hui. le quotidien La Croix a souligné que « pour Gerald Knaus, à la tête du laboratoire d’idées  European stability initiative » (ESI), « Viktor Orban se moque autant du PPE que de l’ensemble des responsables européens et tire sa force de leur manque de courage et de conviction ». Dans un communiqué, 16 États membres se sont dits « préoccupés par le risque de violation de l’État de droit (…) découlant de certaines mesures d’urgence », mais sans jamais citer la Hongrie. Le pays a donc pu s’associer à cette déclaration. Un comble pour Gerald Knaus, qui y voit « encore un insupportable pied de nez pour l’Europe ». https://www.la-croix.com/Monde/Europe/droite-europeenne-face-dilemme-Orban-2020-04-03-1201087741

[112] Résolution allemande sur le génocide arménien le 2 juin 2016 qui a abouti à une interdiction pour les députés allemands de visiter les soldats allemands à la Base turque de l’OTAN Incirlink et le départ des soldats allemands, caricatures dans la presse du président Erdogan, députés allemands d’origine turque accusés par Erdogan de trahir la Turquie

[113]Les relations politiques, économiques, culturelles et les échanges entre les personnes ont la primauté dans les relations germano-turques a déclaré le porte-parole allemand / https://www.youtube.com/watch?v=nrbUttRrghk    https://www.spiegel.de/politik/ausla nd/armenien-resolution-angela-merkel-geht-auf-erdogans-forderung-ein-a-1110505.html

[114] Recep Tayyip Erdogan a même déclaré en 2017 que « si vous continuez à vous comporter ainsi, demain aucun Européen, ou occidental, dans aucune partie du monde, ne pourra marcher en sécurité et en paix dans les rues. Si vous ouvrez cette voie dangereuse, c’est vous qui en paierez les conséquences les plus désastreuses. La Turquie appelle l’Europe à respecter les droits de l’homme et la démocratie. »

https://fr.euronews.com/2017/03/22/quand-erdogan-appelle-les-europeens-a-respecter-la-democratie

[115] La France pour soutenir la Grèce et Chypre contre la Turquie a mené des exercices avec ses forces navales avec la Grèce, Chypre et l’Italie tandis que les États-Unis ont mené des exercices parallèles avec la Turquie. Les États-Unis ont donc été complaisants vis-à-vis de la Turquie quand il s’agit de la France et ont démontré sous la présidence Trump qu’ils n’approuvaient pas sa posture en pointe vis à vis de la Turquie. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo avait pourtant souligné à Paris la nécessité de renforcer les relations transatlantiques pour faire face à la Turquie, mais après que le cessez-le-feu au Haut-Karabagh a été obtenu sous l’égide de la Russie, autrement dit quand les jeux étaient faits. Les États-Unis attendent de la France quelle se positionne de manière prioritaire pour contrer la Russie. Par contre, les États-Unis se renforcent par contre en première ligne en Méditerranée orientale en Grèce (nouvelle base à Souda Bay en Crète après la base d’Alexandroupolis près des détroits turcs) et à Chypre (nouveau centre de formation sur la sécurité portuaire CYCLOPS, levée de l’embargo sur les ventes d’armes).  Ils réaffirment ainsi leur rôle central au sein de l’OTAN menacée par les rivalités entre alliés.  

[116] https://www.revueconflits.com/la-diapora-turque-en-france-le-nouveau-levier-derdogan-louis-du-breil/

[117] Le projet de subvention de la mosquée turque portée par l’association islamiste Milli Görüs proche d’Erdogan à Strasbourg par la majorité EELV en est un bon exemple.      https://www.lefigaro.fr/vox/societe/mosquee-de-strasbourg-le-nouveau-cadeau-des-ecologistes-aux-islamistes-20210324

[118] https://www.fondation-res-publica.org/L-islam-politique-en-Turquie-histoire-et-situation-actuelle_a1038.html

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