Publié le

Budget de l’Education nationale en 2021, encore une augmentation, mais pour quoi faire ?

Roger Chudeau - Contributeur du CAP de l'ISSEP

Roger CHUDEAU

Contributeur du CAP de l'ISSEP / Membre du Conseil scientifique de l'ISSEP

En 2020, le budget de l’Education nationale est passé 51,68 milliards d’euros en 2019 à 52,72 milliards d’euros, soit une hausse de 1,04 milliard d’euros. Loin devant le budget de la Défense établi à 37,5 milliards en 2020 et devant le celui de la Justice qui s’élevait à 7,5 milliards cette même année. La France a l’un des budgets « éducation » les plus élevés au monde mais malgré ce budget considérable et une répartition inégale (La dépense annuelle pour un écolier est 15 % inferieure à celui des pays de l’OCDE, équivalente pour un collégien et 37 % supérieure pour un lycéen[1]), les résultats de cette institution sont un véritable fiasco. Le niveau des élèves français est en chute continue depuis des années. Pour autant, l’éducation nationale semble échapper à tout droit d’inventaire et le budget 2021 est de nouveau en hausse comme si augmenter les ressources du système éducatif sans remettre en cause ni leur distribution, ni le fonctionnement, ni son efficacité au regard des missions que lui confie la Nation suffisait à répondre aux difficultés rencontrées. Dans ces conditions, se pose légitimement la question : une hausse supplémentaire du budget, mais pour quoi faire ?

Des résultats scolaires de plus en plus catastrophiques

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ce que ce budget ne dit pas et de souligner en contrepoint ce que les sources ministérielles elles-mêmes disent de la « mission » enseignement scolaire :

  • Ce qui n’est pas même évoqué : les résultats des évaluations comparatives internationales PIRLS, PISA et TIMSS[2]. Les résultats des évaluations nationales en CP, CE1 et 6ème[3].

L’étude PIRLS 2016 (prochaine campagne 2021) testait les élèves de 10 ans de 70 pays en compréhension de l’écrit. Les élèves français ont obtenu 511 points. La moyenne des élèves des pays de l’Union européenne est de 540 points, celles des élèves des pays de l’OCDE de 541 points. Plus grave : ces performances baissent constamment depuis 15 ans (11 points en moins) et 6% des élèves français n’atteignent pas le niveau le plus élémentaire de PIRLS.

L’étude PISA 2019 testait les élèves de 15 ans de 79 pays en compréhension de l’écrit, mathématiques et sciences. Nos élèves se situent entre le 20ème et le 26ème rang mondial soit légèrement au-dessus de la moyenne des 35 pays de l’OCDE. Ces résultats varient peu depuis l’année 2000. Notre panel d’élèves se caractérise par une profonde fracture sociale entre les élèves qui réussissent les tests et ceux qui échouent.

L’étude TIMSS 2019, dont les résultats viennent d’être rendu publics, testait les élèves de quatrième en mathématiques. Le titre de la note d’information du Ministère est édifiant : « Mathématiques au niveau de la 4ème : des résultats inquiétants en France » ; on peut lire plus loin : « avec un score de 483 points, la France se situe sous la moyenne des pays participants de l’UE et de l’OCDE (511) …/… entre 1995 et 2019 les résultats des élèves ont baissé de manière significative[4] ». Pire, les élèves français sont arrivés avant dernier en Europe derrière l’Albanie. La France a longtemps produit l’une des plus grandes écoles de mathématique au monde avec un nombre impressionnant de médaillés Fields (l’équivalent du prix Nobel en mathématique). Ces résultats signent indéniablement la mort de cette école de mathématique d’ici 20 ans si rien n’est fait.

Les évaluations nationales annuelles de CP, CE1 et 6ème offrent elles aussi un paysage préoccupant [5]:

« En classe de CP, les résultats sont, en Français comme en mathématiques en légère baisse …/…les écarts entre le secteur hors éducation prioritaire et l’éducation prioritaire s’ils augmentent, sont cependant contenus eu égard aux circonstances …/… en classe de CE1, les baisses sont plus sensibles …/… de manière générale les écarts entre secteur hors éducation prioritaire et secteur prioritaire s’accentuent …/… en sixième, les résultats sont très largement en hausse », mais les tests de fluence (lecture à haute voix) révèlent les limites de ce bref succès : « dans l’échantillon analysé, le score moyen est de 124 mots lus en une minute, supérieur donc au seuil de 120 mots qui correspond aux attendus en fin de CM2. 53% des scores sont au-dessus de ce seuil. Quelques chiffres sont cependant inquiétants : 15% des élèves se situent en deçà du seuil de 90 mots qui correspond aux attendus de fin de CE2, 31% sont en dessous du seuil de 120 mots ». En bon français, cela signifie qu’en classe de 6ème, 47% des élèves ne savent pas lire correctement…

Le Parlement n’est tout simplement pas tenu informé officiellement de ces résultats, probablement parce que ces indicateurs ne sont pas ceux des programmes annuels de performances, arrêtés il y a fort longtemps, au début de la LOLF, par BERCY. Or la lecture de ces tableaux d’indicateurs officiels montre deux choses : ils sont très imparfaitement renseignés, sans ce que cela entraîne d’ailleurs la moindre admonestation du Parlement au directeur desdits programmes et secondement, ils sont pour l’essentiel des indicateurs de fonctionnement, comme par exemple l’indicateur 2.1 du programme 140 : « nombre d’académies bénéficiant d’une dotation globale équilibrée parmi les 30 académies » et non de résultats.

Ces résultats dramatiques ne semblent pourtant entrainer aucune réaction particulière ni dans la classe médiatique ni dans la classe politique, le gouvernement se contentant, une fois de plus, d’augmenter les budgets sans véritable stratégie ou volonté de réforme.

Une nouvelle augmentation du budget prévu dans la loi de finance

 Cette année, le budget de la mission est en augmentation de 2,17%[6] par rapport au budget 2020.

La priorité affichée au premier degré se traduit par une augmentation de 2,54% des crédits du programme 140 (enseignement scolaire public du premier degré). A noter que l’enseignement élémentaire sur lequel porte l’effort de dédoublement des classes de CP et CE1, ne bénéficie que de 1,82% d’augmentation.

En termes d’évolution des plafonds d’emplois, la mission connait avec 1 024 350 emplois, une croissance de 3736 « équivalents temps pleins travaillés » (ETPT), incluant 910 emplois pour « mesures de périmètre », 378 emplois relevant de la jeunesse et 100 emplois pour le programme 139. Observons que le programme 141 (second degré public) se voit retirer 1800 emplois alors même que les collèges et lycées devraient connaître une augmentation d’effectifs de 28 000 élèves en 2021[7]. 1000 emplois supprimés seront compensés par des heures supplémentaires par année (HSA). La commission elle-même attire cependant l’attention du ministre sur le fait que ces heures supplémentaires années ne peuvent pas être toutes utilisées pour des raisons d’emploi du temps…

Au total, les grands équilibres budgétaires du système éducatif restent inchangés. Malgré le lourd satisfecit pro domo décerné par la présidente de la commission au Gouvernement et un techno-langage convenu : « le budget 2021 témoigne de la poursuite des efforts conduits depuis le début du quinquennat pour réinvestir dans la recherche et dans l’éducation …/… », et plus loin, dans « l’exposé des motifs » : « sanctuarisation des effectifs dédiés à la jeunesse et au capital humain, en particulier au ministère de l’éducation nationale », il est impossible de percevoir dans ce budget et dans les rapports annuels de performances qui le sous-tendent[8] une quelconque analyse lucide de la situation de notre système éducatif et a fortiori, l’ébauche d’un discours stratégique pour restaurer l’ambition – cruciale pour notre avenir – d’une école efficace.

Aucun débat parlementaire sur l’efficacité de notre système éducatif et sur la pertinence de la politique éducative du Gouvernement n’est conduit. Par exemple : le fait que les écarts de performances entre les secteurs de l’éducation prioritaire et le secteur hors éducation prioritaire continue de se creuser malgré les coûteux dédoublements des classes de CP et de CE1, à quoi s’ajoutera bientôt celui des grandes sections de maternelle, ne mériterait-il pas un débat approfondi sur la pertinence du maintien d’un secteur et du concept même d’éducation prioritaire, sans même parler de la répartition des budgets actuels ?

Un ministère pourtant bien informé !

Pourtant, le Ministre pourrait documenter de manière « robuste » l’état dans lequel se trouve aujourd’hui notre système éducatif, puisque le ministère dispose depuis la création de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) sous René MONORY, de tableaux d’indicateurs diachroniques et synchroniques de grande qualité.

Que disent les chiffres du Ministère de l’Education Nationale sur « l’état de l’école »[9] ?

S’agissant de la « priorité au 1er degré » dont le ministre a fait sa signature politique, on note dans « L’état de l’école » que les moyens consacrés au 1er degré sont en constante augmentation… depuis 1980 ! Et que malgré cela, la France reste pour le premier degré en dessous de la moyenne de l’OCDE en matière de moyens. Les 1 688 emplois nouvellement affectés au programme du premier degré, rapportés à 343 278 apparaissent alors comme une contribution bien modeste à la « priorité nationale », tout comme les 400 millions d’euros de mesures catégorielles, rapportées aux 23 655 983 539 euros du budget 140…

Quant à la diminution de la taille des classes, dont même le Président de République a cru bon d’en faire un de ses marqueurs politiques, elle n’est rendue possible que par la diminution sensible des effectifs d’élèves du premier degré jusqu’en 2024, puisqu’entre 2018 et 2023 le premier degré public aura perdu pour de simples raisons démographiques 164 600 élèves (sur plus de 4 millions). Rien de tout cela n’est évoqué dans le débat parlementaire.

La priorité réelle demeure donc accordée au second degré et tout particulièrement au lycée d’enseignement général et technologique (LEGT), « la dépense par élève dans le second cycle de l’enseignement secondaire en France est sensiblement au-dessus de la moyenne de l’OCDE »[10] et « en moyenne le nombre d’élèves par enseignant est moins élevé dans le second degré que dans le premier degré »[11].

S’agissant de la réduction de la fracture sociale au sein du système scolaire, autre mantra ministériel (cf. « école de la confiance et de la bienveillance »), les indicateurs de « l’Etat de l’école » sont dépourvus d’ambiguïté : « des inégalités sociales de résultats qui persistent » : « à la rentrée 2019, la proportion d’élèves qui sont de milieu défavorisé …/… est supérieure à 48, 6%  dans le quart des collèges les plus défavorisés et inférieure à 23,2% dans le quart des collèges les plus favorisés »[12] et « des niveaux de compétences plus fragiles dans le Nord et le DROM ».

Quant à la fracture territoriale, il n’est que de se référer à la carte des résultats des évaluations nationales de 6ème, page 53 de ce précieux document, pour illustrer le caractère proprement incantatoire des déclarations ministérielles.

Au total et en résumé.

« Rien de nouveau sous le soleil ». Le système éducatif de notre pays poursuit sa lente course routinière, entrecoupées de chocs de plus en plus violents résultant de son incapacité à réduire les fractures sociales, culturelles et territoriales. Il s’agit bien entendu notamment de la remise en cause de ses fondements en particulier par l’islamisme conquérant, nulle part évoqué lors du débat parlementaire. Les perspectives d’ascension sociale pour les jeunes français défavorisés, l’élévation effective du niveau d’instruction de notre jeunesse ainsi que la tenue du rang de notre Nation dans le monde dans les décennies à venir sont tout bonnement absents du débat parlementaire et passées par pertes et profits.

Il y aurait bien sûr des alternatives à cette politique du laisser-aller et du laisser-faire.

Un seul exemple : le nombre d’enseignants rapporté au service qu’ils dispensent est en soit une question qui mériterait que la représentation nationale s’y intéresse… En RFA, il y a moins d’enseignants qui travaillent davantage et sont beaucoup mieux payés que les nôtres… Il s’agit bien d’un problème systémique, qui requiert une réforme systémique.

L’énorme vaisseau, qui devait porter l’ambition, la foi au progrès, la vitalité, les espérances de notre Nation et de notre civilisation, dérive… Il est privé de compas et de pilote.

A la lecture de l’exposé des motifs et à celle du budget que la Nation consacrera en 2021 à l’éducation de ses enfants, l’évidence s’impose : l’école de la République n’est ni pilotée, ni gouvernée. Tout au plus est-elle administrée, non sans démagogie, hélas[13].

 

[1] http://www.oecd.org/education/skills-beyond-school/Regards-sur-leducation-2017-France.pdf

[2] PIRLS : Progress in International Literacy Studies. Organisé par International Association for the evaluation of Education achievments (IEA). PISA Programme international de suivi des acquis des élèves. TIMSS : trends in international Mathematics and science studies, organisé par IEA.

[3] Dossier de presse : résultats des évaluations nationales 2020 en CP, CE1 et 6ème. Site du MEN.

[4] Note d’information 20-47, décembre 2020

[5] Note MEN « résultats des évaluations nationales 2020 en CP, CE1 et sixième ». Dossier de presse en ligne, site du MEN

[6] Rapport de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le PLF 2021

[7] MEN DEPP note d’information N° 20-09 juillet 2020

[8] Rapports annuels de performance 2021 par programme, site du ministère du Budget

[9] L’état de l’école, MEN DEPP novembre 2020

[10] IBID page 30

[11] IBID page 38

[12] IBID page 46

[13] Mais l’est-elle bien ? La création annoncée de 7 nouveaux postes de vice-recteurs, et celle de deux nouveaux échelons administratifs (le régional et l’infra départemental), autorisent à poser la question.