Etat d’urgence permanent ?
En décembre 2020, le gouvernement français a tenté de faire passer en catimini dans l’ordre du jour du Parlement un « état d’urgence sanitaire permanent ». Une vague de protestation sur les réseaux sociaux a fini par faire reculer le pouvoir exécutif. Néanmoins, l’expérience d’un an d’épidémie de COVID-19 aboutit à un recul des libertés individuelles dans de nombreux pays, comme le relève Amnesty International.
En France, c’est dès l’origine de la crise sanitaire causée par le COVID que l’on constate un renoncement à défendre les libertés individuelles et collectives devant le principe de précaution sanitaire. Les décisions de politique sanitaire sont prises après consultation d’un conseil scientifique, dans le cadre d’un Conseil de défense[1] dont les discussions, classées « secret-défense », ne sont pas communiquées au Parlement. L’Allemagne s’était au contraire distinguée en 2020, pour sa gestion décentralisée de la politique sanitaire, respectueuse de la subsidiarité qui caractérise la République Fédérale. Pourtant, Madame Merkel a fini, en 2021, par imiter l’interventionnisme et le centralisme d’Emmanuel Macron. Dans la deuxième quinzaine d’avril 2021, la Chancelière a fait adopter, pour deux mois renouvelables, une loi obligeant les Länder à s’aligner sur les décisions sanitaires prises au niveau de la Fédération. On pourrait aussi mentionner le cas de la Grande-Bretagne qui, à peine sa souveraineté nationale retrouvée, s’est lancée dans une politique de confinement total et très dur.
La capacité des Etats à intervenir dans la vie de la population au nom de la protection sanitaire est si avancée que les gouvernements ont désormais recours à une forme de chantage : il sera nécessaire d’accepter une intensification des contrôles des déplacements et des fréquentations publiques pour pouvoir sortir en toute sécurité de l’état d’urgence sanitaire. La Commission européenne travaille sur un projet de passeport sanitaire unifié pour permettre à tous les ressortissants de l’Union Européenne de « voyager sans risque ». Plus récemment, on a vu émerger en France l’idée du QR code pour accéder aux lieux publics et aux rassemblements.
Facteurs endogènes
Il y a bien entendu des facteurs endogènes qui viennent expliquer la dérive liberticide que nous vivons depuis le printemps 2020.
- Dans nos sociétés démographiquement vieillissantes, l’afflux possible de personnes âgées dans les hôpitaux n’avait pas été anticipé – au contraire, on n’a cessé, ces dernières années, de supprimer des lits d’hôpital. La prévision est rarement le fort des sociétés démocratiques, dont les débats tendent à se déployer dans un horizon temporel limité.
- Ajoutons que ces mêmes sociétés profondément déchristianisées ont révélé, à l’occasion de la pandémie, une peur de la mort encore inédite dans notre histoire : la confusion entre « infection » et « maladie » qui a conduit à une doctrine de la précaution maximale.
- Enfin, mentionnons l’opportunisme des GAFAM profitant de la pandémie pour accélérer la numérisation de la société. Cette numérisation à tous les niveaux, sur le plan de la santé, du travail ou encore de l’éducation permet l’appropriation d’un maximum de données individuelles en vue de renforcer les capacités de l’intelligence artificielle. Dans cette crise sanitaire, l’intelligence artificielle est de plus en plus exploitée par les gouvernements à des fins de suivi et de contrôle des individus au prétexte de prévention sanitaire et d’efficacité des politiques publiques.
La technologie inventée dans les pays démocratiques et mise au service du contrôle des individus · Un bon exemple est la start-up Trust Stamp, qui a profité du dernier sommet sur la vaccination organisé par l’organisation GAVI pour recommander ses méthodes d’identification biométriques. Sur son site, l’entreprise est fière de faire partie des finalistes de la conférence de la Haye, lors de laquelle sera attribué un prix au meilleur QR Code médical. · Autre exemple, l’entreprise coréenne KONA a passé un accord avec Mastercard pour développer une carte de paiement biométrique. Va-t-on vers un document unique, qui comprendrait aussi bien l’identité civique que l’historique des paiements et les données médicales de la personne ? · L’entreprise International SOS s’est positionnée très tôt durant la crise épidémique pour que les voyageurs aériens disposent d’un pass sanitaire appelé AOK. |
Ce que l’on classe habituellement sous l’étiquette de « Great Reset » est en fait la doctrine idéologique assez confuse et passablement contradictoire qui agite actuellement le monde des décideurs ayant l’habitude de se réunir à Davos ou à Pékin dans le cadre du World Economic Forum. Dans ces cercles où l’on est parti, voici quarante ans, du néolibéralisme, on en arrive aujourd’hui à la vision d’un contrôle généralisé des individus. Dans l’étude qu’il a consacrée à ce sujet, La Grande Réinitialisation, John Laughland souligne l’alliance surprenante dans ces cercles entre néolibéralisme et tentation de contrôle autoritaire. Et l’auteur d’expliquer le rôle notable joué par la Chine dans cette évolution. Il attire notre attention sur l’éloge appuyé de Klaus Schwab, président du Forum Economique Mondial, au sujet de la politique chinoise de lutte contre le COVID :
« Interrogé sur CNBC en juillet 2020, Klaus Schwab a affirmé que la Chine a été le premier pays à surmonter la crise, et ceci grâce à ce qu’il appelle pudiquement « la spécificité de sa structure gouvernementale »[2]. Cette « spécificité » est que la Chine est un régime autoritaire communiste à parti unique mais qui aurait, selon lui, des avantages : elle aurait permis à la Chine de prendre ce qu’il appelle, toujours avec une certaine retenue, « des mesures plus dirigistes » (‘more directive measures’ : l’anglais de Schwab n’est pas parfait) pour combattre le virus et ainsi de sortir plus vite de la crise que d’autres pays « qui mettent l’accent sur la liberté personnelle ». Ces mesures sont évidemment le confinement draconien introduit d’abord à Wuhan et que le reste du monde a ensuite imité. Autrement dit, pour Klaus Schwab, c’est précisément son régime autoritaire qui rend la Chine plus forte et efficace. Klaus Schwab a récidivé en décembre 2020 quand il a remercié la Chine pour son « leadership mondial » dans la lutte contre le Covid[3].
Comment le Parti Communiste Chinois a transformé le fiasco du COVID en succès de propagande politique et en outil de contrôle sur sa population.
La Chine pousse à un QR Code universel
On peut se demander en effet si les choix faits par le gouvernement français et d’autres face au coronavirus n’ont pas été grandement influencés par la propagande que la Chine communiste a déployée dans le monde. En fait, il est utile d’analyser ce qu’il se passe en Chine qui a d’ores et déjà mis en place un système de contrôle étendu, sinon total, maintenu après la fin officielle de l’épidémie. La Chine a, de fait, déjà lancé un passeport numérique de contrôle de la santé. Ce qui avait été mis en place au départ pour identifier et isoler les malades est en train de devenir un moyen d’accès généralisé à tous les lieux publics, les magasins, les moyens de transport mais aussi les immeubles où vous rendez visite à vos parents ou vos amis. Partout où vous allez, vous êtes enregistré en présentant votre téléphone à une borne. Selon les endroits où vous êtes passés, les personnes que vous avez rencontrées, le code-barre s’allume en vert, en jaune ou en rouge. L’application a été conçue par le gouvernement et elle renseigne sur vos déplacements des 14 jours précédents. L’application dispose aussi d’un historique sur les tests que vous avez effectués. Elle renseigne sur votre état vaccinal. Le QR code est un outil du contrôle extrêmement précis des personnes.
Les dirigeants de la Chine populaire poussent à l’adoption universelle d’un système de QR Code. Xi Jinping en a parlé à ses homologues lors du G20 de 2020 qui s’est tenu en visioconférence. Et Pékin ne manque pas de relais. Le Forum économique mondial (qui tient régulièrement une session d’été en Chine) est une puissante chambre d’écho. L’idée a été débattue dans différents cénacles internationaux, à l’ONU, à l’OMS. C’est dans ce sillage qu’il faut situer la mise en place d’un pass sanitaire de l’UE.
De la gestion désastreuse des débuts de l’épidémie à la diplomatie du confinement total : une réécriture de l’histoire très communiste
La Chine a très mal géré l’irruption de l’épidémie à partir de septembre 2019 à Wuhan. Elle a attendu janvier 2020 pour informer le reste du monde, ce qui la rend largement responsable de la diffusion mondiale du virus. Jusqu’à aujourd’hui, nul ne sait ce qu’il s’est vraiment passé à Wuhan ni combien de victimes la Chine a eues (les chiffres officiels ne sont pas plausibles, mais une fois que l’on a écarté les 5000 morts déclarés, est-on plus près des 275 000 morts indiens, des 585 000 morts américains ou au-dessus ?). La diplomatie chinoise a pourtant réussi un stupéfiant retournement de situation en convainquant la plupart des pays des performances chinoises en matière de lutte contre le COVID.
Au moment où nous publions cette analyse, les origines de l’épidémie de COVID 19 font de plus en plus débat. La thèse officielle chinoise de l’origine animale de la transmission du virus à l’Homme commence à être remise en cause. Même l’Organisation Mondiale de la Santé a été obligée de reconnaître implicitement que la délégation, qu’elle avait envoyée à Wuhan au mois de mars 2021 pour enquêter sur les origines du virus, n’avait pas eu accès à toutes les informations de la part du gouvernement chinois. La possibilité d’une fuite du virus hors d’un laboratoire de Wuhan à cause d’un niveau de sécurité insuffisant, déjà posée dans une longue étude par Joseph Tritto à l’été 2020, commence à être prise au sérieux. On voit bien ce qui est en jeu : comme la formule François Heisbourg, on aurait affaire à un « Tchernobyl chinois à la puissance dix ». L’imprudence des scientifiques, Français ou Américains, et des autorités de santé de ces deux pays, qui ont aidé les Chinois à établir un centre de recherche mais n’ont pas fait un suivi strict de la sécurité déployée par la suite, conduirait à poser, plus généralement, la question de la nature des relations avec la République Populaire de Chine, qui reste un régime communiste et a connu avec Xi Jinping un regain de « totalitarisme ». A vrai dire, une partie de l’opinion mondiale, malgré les dénégations du régime chinois et le silence, sauf exception, des autres gouvernements, a basculé vers la méfiance vis-à-vis de la Chine.
On a vu, par contrecoup, la diplomatie chinoise devenir agressive par la voix de ses ambassadeurs. On connaît bien, en France, les invectives de l’actuel ambassadeur de la République Populaire de Chine, Lu Shaye ; mais particulièrement spectaculaire aussi fut, en avril 2020, l’attaque déclenchée par l’ambassade de Chine à Berlin contre le rédacteur en chef du journal à grand tirage Bild. Et le nouveau mode de communication peu diplomatique a en fait été repéré sur tous les continents. On s’est mis à parler en Chine des diplomates chinois comme de « loups combattants », selon Le Monde du 30 avril 2020, qui ajoutait : « Au Brésil, l’ambassadeur a accusé le fils du président Jair Bolsonaro, qui critiquait l’opacité régnant en Chine, d’avoir attrapé « un virus mental » lors de sa rencontre, en mars, avec Donald Trump en Floride. A Paris, l’ambassade chinoise n’a pas hésité à publier le texte d’un « diplomate chinois anonyme » affirmant que les personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) « ont déserté collectivement, laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie » – entraînant la convocation de l’ambassadeur Lu Shaye par le Quai d’Orsay par voie téléphonique, confinement oblige. A Pékin, les chancelleries occidentales sont pointées du doigt pour leur prétendue nonchalance vis-à-vis des mesures barrières visant à limiter la contamination interhumaine. L’arrondissement très chic de Chaoyang, dans l’est de la capitale, où sont situées la majorité des ambassades occidentales, vient d’obtenir l’honneur douteux d’être classé « zone à plus haut risque de la Chine » par l’application de surveillance des foyers infectieux. Pékin exige de chaque chancellerie qu’elle lui communique quotidiennement les relevés de température de tout son personnel, ainsi que doit le faire chaque unité de travail chinoise. Nombreuses sont celles qui continuent de s’y refuser, comme l’ambassade américaine et la délégation européenne, invoquant le droit du travail dans leurs administrations d’origine ».
Cependant, si nous essayons de lire les événements du point de vue du régime chinois, on comprendra mieux ce qui s’est déroulé depuis un an. Au moment de la chute de l’URSS, la communauté internationale a fait comme si la Chine de Deng Xiaoping, malgré la répression très dure de juin 1989 (Tian An Men et 400 autres villes en Chine), ne relevait plus de la catégorie « régime communiste ». L’épisode du COVID 19 est venu, trois décennies plus tard, rappeler une évidence : la République Populaire de Chine reste un régime à parti unique ; et ce parti, parce qu’il est communiste, n’a pas de raison de se comporter différemment des autres partis communistes de l’histoire. Historiquement, les partis communistes sont habitués à retourner en succès de propagande les échecs socio-économiques qu’ils ont eux-mêmes causés[4]. En fait, il faut bien comprendre que l’échec n’a pas d’importance dans la mentalité des dirigeants communistes chinois, pourvu qu’il puisse être dissimulé, déboucher sur un renforcement du contrôle social et se transformer en outil diplomatique intérieure et extérieure.
L’objectif communiste d’un contrôle sanitaire et social toujours plus complet
Le gouvernement chinois publiait dès le mois de juin 2020 un livre blanc destiné à « partager son expérience pour que le monde puisse vaincre la pandémie mondiale ». Le document fait l’éloge du leadership du Parti Communiste Chinois dans la gestion de la crise, affirmant qu’il a permis à la Chine de créer un « système de prévention et de contrôle (fangkong) rigoureux impliquant tous les secteurs de la société ». Dans les discussions chinoises sur la santé publique, ce mot revient sans cesse : fangkong, ou « prévenir et contrôler ». Il fait référence au contrôle de forces diffuses (à l’intérieur ou à l’extérieur du pays) ; ce terme est volontairement large et peut être appliqué à différents types de menaces qu’elles soient sanitaires ou sécuritaires. En mai 2020, lorsque Xi a demandé que le COVID-19 soit géré au moyen de systèmes d’ « alerte précoce » et d’une « surveillance précise et opportune », il s’est fait l’écho du langage utilisé par les responsables chinois pour décrire l’énorme appareil de renseignement de sécurité publique du pays, qui surveille la société pour prévenir les troubles et l’instabilité susceptibles de remettre en cause le pouvoir du Parti. Fangkong est devenu un terme courant au début des années 2000, principalement en référence à la sécurité intérieure. Après la répression de « Tian An Men », préoccupé de maintenir sa « Nouvelle Politique économique » (c’est à dessein que nous utilisons le terme forgé par Lénine en 1922), le régime s’est toujours intéressé davantage au potentiel de contrôle de la technologie numérique.
Sous la présidence de Xi Jinping, qui a accédé à la présidence en 2013, le terme est redevenu un slogan de sécurité publique. Les prédécesseurs de Xi préféraient ce qu’ils appelaient le « maintien de la stabilité » qui renvoyait aux menaces à l’ordre public. Le président actuel a adopté une vision plus préventive du contrôle social, résumée par l’accent mis sur le fangkong. Xi Jinping a passé des années à remanier l’appareil de sécurité intérieure du pays pour poursuivre cette ambition, en se concentrant sur l’intensification de la surveillance, le suivi et le contrôle des mouvements des citoyens, ainsi que sur des sanctions sévères, souvent préventives, à l’encontre de toute personne dont le parti pense qu’elle a l’intention de violer les règles.
La médicalisation du discours politique à l’occasion du COVID-19
Lorsque le nouveau coronavirus a frappé Wuhan, les autorités locales chargées de la sécurité publique ont aidé les entreprises à développer de nouvelles applications smartphone de surveillance de la santé, qui recueillaient des données sur la température corporelle des individus, leurs mouvements et leurs contacts sociaux. Les développeurs d’applications ont à leur tour partagé ces données avec la police et d’autres autorités locales, qui les ont fusionnées avec les bases de données existantes pour faciliter l’application des mesures de confinement. Bien que ces mesures soient apparues initialement comme un mécanisme de gestion de crise, nombre d’entre elles semblent devoir devenir permanentes.
La crise du COVID 19 a accéléré une tendance à la « médicalisation » du discours public. Les métaphores tendant à parler de maladie politique et idéologique abondent. « Pour les maladies infectieuses nocives, nous devons frapper tôt pour immuniser préventivement et renforcer l’immunité », a expliqué un haut fonctionnaire, Meng Jianzhu, dans un discours de 2016 dans lequel il invoquait la doctrine de « prévention et de contrôle ». Pourtant Meng n’était pas un responsable de la santé publique – il était le chef de la sécurité intérieure du pays, décrivant sa vision du maintien du contrôle social. Un langage médical similaire est employé dans le discours officiel sur le Xinjiang, où les autorités ont emprisonné plus d’un million d’Ouïghours et d’autres minorités religieuses et ethniques. Les fonctionnaires chinois comparent régulièrement les menaces perçues dans cette région (généralement les « trois maux » que sont le séparatisme, l’extrémisme religieux et le terrorisme) au cancer et aux maladies infectieuses.
Des commentaires récents ont étendu l’analogie du « virus politique » au-delà de la politique purement interne. Le bureau chinois des affaires de Hong Kong et Macao a qualifié le mouvement de protestation de Hong Kong de « virus malin » et d’ « infection », que la nouvelle loi sur la sécurité nationale vise manifestement à éradiquer. La porte-parole chinoise Hua Chunying a également évoqué un « virus politique » anti-chinois qui se propage aux États-Unis. Ces « diagnostics » de Pékin laissent présager que le PCC abordera Hong Kong, et peut-être même sa politique étrangère au sens large, avec la même doctrine de « prévention et de contrôle » que celle appliquée à l’intérieur de ses propres frontières.
La diplomatie du confinement total
- L’OMS: Les premières réactions au confinement chinois avaient été inquiètes. Puis une machine s’est mise en route, sous l’influence « de la gouvernance internationale ». L’OMS, en particulier, qui avait été peu lucide sur le début de l’épidémie en Chine, s’est mise à louer cette méthode inédite. L’influence de la Chine dans l’organisation devenait tellement évidente que le Président Trump suspendit la contribution américaine.
- En France, on a vu tout d’un coup des messages admiratifs se répandre à la nouvelle que la Chine populaire avait confiné complètement une population de 57 millions, à peine moins que la population de la France. En fait, l’Occident ne s’est pas rendu compte qu’il avait affaire à une gigantesque intoxication par réseaux interposés. Il faut dire que les mondes dirigeants des démocraties occidentales sont pour partie sous influence chinoise avancée depuis des années[5].
- Les réseaux sociaux: Facebook, Twitter et YouTube sont interdits en Chine. C’est pourtant sur ces réseaux qu’on a vu déferler des vidéos et des messages en faveur de la méthode du confinement total. « Le Coronavirus fait tomber les gens dans les rues comme des mouches » à Wuhan, y lisait-on, des milliers de fois. On parlait de films d’horreur dans les hôpitaux de Wuhan. On vit aussi se répandre rapidement l’intox d’un hôpital construit en une semaine.
- USA. Lorsque le Département d’État américain, inquiet par le déferlement de propagande chinoise sur les réseaux sociaux occidentaux, a fourni un échantillon de 250 000 comptes susceptibles d’être impliqués dans la désinformation sur le coronavirus, Twitter a refusé de prendre des mesures.
- L’Italie. Alors qu’un rapport de l’OMS du 24 février 2020 confirmait le « triomphe de la Chine ». L’Italie était simultanément bombardée de désinformation chinoise. Du 11 au 23 mars, environ 46 % des tweets portant le hashtag #forzaCinaeItalia (Allez la Chine, allez l’Italie) et 37 % de ceux portant le hashtag #grazieCina (merci la Chine) provenaient de bots. C’est le moment où l’Italie a basculé dans le confinement complet, alors que la Chine avait envoyé dans la péninsule des conseillers chargés d’encourager les Italiens à copier la méthode de Wuhan. Et le passage italien au confinement complet a influencé le reste de l’Europe.
- La Suède. La Chine ne s’est pas contentée de prôner l’adoption de sa méthode – ou du moins ce qu’elle avait bien voulu en montrer à l’étranger. En mars 2020, les médias d’État chinois ont commencé à décrire la stratégie d’ « immunité collective » – permettant au coronavirus de se propager parmi les jeunes et les personnes en bonne santé – comme une violation des « droits de l’homme », une formulation orwellienne étant donné que les confinements sont essentiellement une suspension générale des droits. La Suède, par exemple, qui se refusait à confiner est ainsi devenue la cible privilégiée d’une campagne chinoise, essentiellement sur les réseaux sociaux, qui dépeignait ses dirigeants comme faibles face à la menace du COVID. Selon les termes du Global Times, journal proche du PCC : « Les soi-disant droits de l’Homme, la démocratie, la liberté vont dans la mauvaise direction en Suède, et les pays qui sont extrêmement irresponsables ne méritent pas d’être l’ami de la Chine… »
- La Grande-Bretagne. Dans un premier temps, le Premier ministre britannique Boris Johnson a également opté pour la stratégie de l’immunité de groupe. Le 13 mars 2020, des comptes suspects ont commencé à prendre d’assaut son fil Twitter et à assimiler son plan à un « génocide ». Ce langage n’apparaît presque jamais dans le fil d’actualité de Johnson avant le 12 mars, et plusieurs des comptes qui ont bombardé celui du Premier ministre britannique étaient à peine actifs avant cette date. Quel est le rôle de la pression chinoise dans le retournement britannique et la décision de confiner totalement ? Certains observateurs constatent que l’université qui a été en pointe pour réclamer le confinement, Imperial College, est celle qui a développé les liens les plus étroits avec les universités chinoises. Il faudrait plus de place pour analyser en détail le rôle des relations entre scientifiques chinois et européens ou nord-américains pour éclairer encore mieux le basculement rapide, en quelques semaines, vers la méthode du confinement total en Occident.
- The Lancet. Contentons-nous de souligner que l’une des plus prestigieuses revues scientifiques médicales, The Lancet, a sombré, par l’intermédiaire de son rédacteur en chef, Richard Horton, dans la « xiolatrie ». Dans une interview accordée en mai à la télévision chinoise, Richard Horton faisait de la surenchère : « Non seulement c’était la bonne chose à faire, mais cela a également montré aux autres pays comment ils devaient réagir face à une menace aussi aiguë. Je pense donc que nous avons beaucoup à remercier la Chine »… En août 2020, Horton a encore doublé la mise dans un article à grand déploiement qui avait étonnamment peu à voir avec la santé : « Le siècle de l’humiliation », au cours duquel la Chine a été dominée par l’Occident et le Japon à l’esprit colonialiste, n’a pris fin qu’avec la victoire des communistes dans la guerre civile en 1949. Tous les dirigeants chinois contemporains, y compris Xi Jinping, ont considéré que leur tâche consistait à protéger la sécurité territoriale obtenue par Mao et la sécurité économique obtenue par Deng… » Quel rapport avec la pandémie ou les sujets habituels développés dans The Lancet?
Contours et limites de l’influence du « modèle chinois »
Il valait la peine de s’arrêter sur l’exemple du Lancet puisque le même journal a été puissamment mis en cause (dans les semaines où Richard Horton faisait l’éloge de la méthode chinoise de lutte contre le COVID) pour la publication hâtive d’un article aux données falsifiées refusant l’un des traitements précoces utilisés pour faire diminuer la charge virale des gens tombant malades du COVID – à savoir l’hydroxychloroquine. Fait intéressant d’ailleurs, l’hydroxychloroquine – aujourd’hui utilisée dans plus de trente pays, en combinaison avec un antibiotique pour soigner le COVID – avait été testée d’abord en Chine contre le coronavirus : les dirigeants, les notables et les faiseurs d’opinion en Europe ou en Amérique du Nord ne sont pas allés chercher inspiration en Chine pour ce qui fait la qualité de la recherche médicale de ce pays mais pour ce que sa politique a de plus idéologique.
La thèse de la présente note n’est pas celle d’une influence communiste chinoise absolue sur l’évolution des politiques sanitaires dans le monde, en particulier aux USA et en Europe. En fait, la crise du COVID a marqué une détérioration des relations entre la Chine et le reste du monde, que l’on remarque aussi bien dans le refroidissement des relations entre Bruxelles et Pékin que dans la continuité, beaucoup plus forte qu’attendu, des tensions sino-américaines depuis l’installation de l’administration Biden-Harris. Et la Chine a, jusqu’à maintenant, peu exporté ses vaccins anti-COVID vers l’Union Européenne ou les Etats-Unis. En fait, l’influence chinoise a d’abord porté sur la méthode du confinement indifférencié de la population. On a souvent parlé, ces derniers mois, de « modèle asiatique ». Mais les pays que l’on appelle « démocraties confucéennes », telles la Corée du Sud, Taïwan ou Singapour, ont justement défini leur propre méthode de lutte contre le COVID par opposition au « modèle chinois » : confinement ciblé, encadrement strict du traçage numérique… On a amplement souligné, à juste titre, que le modèle japonais, sud-coréen ou taïwanais était très intrusif et sans doute difficilement compatible avec la tradition européenne ou nord-américaine des droits individuels. Mais alors pourquoi s’être laissé influencer à ce point par le modèle de la Chine communiste qui aurait dû, logiquement, être encore moins accepté que le modèle de pays asiatiques qui sont des démocraties ?
Le paradoxe tient à ce que l’adaptation d’un modèle de politique sanitaire de type sud-coréen aurait inévitablement conduit à laisser à la société civile l’initiative de savoir ce qu’elle acceptait ou non du traçage numérique strict. Il aurait fallu demander aux parlements de se faire les garants des libertés individuelles malgré la période d’exception et non les traiter en simples chambres d’enregistrement de décisions à caractère technocratique. Pour nos gouvernants, le « modèle chinois » de confinement généralisé avait un avantage : il pouvait être imposé d’en haut, plaqué sur une société civile qu’on n’avait pas à impliquer dans l’élaboration de la politique sanitaire. Le cas de la France est évident : fort du poids de l’Etat et de la centralisation, on y a par exemple limité la liberté de prescription des médecins de ville ; défini arbitrairement des activités « essentielles » et « non essentielles » – comme si dans une économie de marché l’activité économique essentielle n’était pas défini par la loi de l’offre et de la demande, la croissance et la création d’emplois ; interdit aux collectivités locales de mettre en œuvre des confinements différenciés. Mais l’exemple de l’Allemagne est non moins intéressant : ce pays connu pour sa tradition de décentralisation et ses libertés locales est aujourd’hui caractérisé par une politique sanitaire de plus en plus centralisée et coercitive.
Conclusion : De l’abandon des libertés individuelles au miroir du « modèle chinois » : les démocraties occidentales en crise
En somme, la diffusion d’un « modèle chinois » de confinement aura servi de révélateur à une crise spécifique de la démocratie en France et en Europe.
Certes, la Chine avait intérêt à faire oublier, autant que possible, sa responsabilité écrasante par son incapacité à repérer et limiter l’expansion de l’épidémie durant cinq mois (septembre 2019 – janvier 2020). Elle a mis en scène, dans la plus belle tradition communiste, un « confinement total » qui relevait largement de la propagande interne et externe. Pékin a déployé, à partir de février 2020, une diplomatie agressive pour influencer le reste du monde dans le sens d’une imitation de ce « confinement total ». De fait, comme nous l’avons montré, le déploiement d’une argumentation quasi-obsessionnelle, en particulier par réseaux sociaux interposés, est sans équivalent dans l’histoire. Jamais un pays communiste n’avait eu à sa disposition des outils de diffusion de son information qui soient d’une telle puissance.
Cependant, on a observé, au plus tard à la fin du printemps 2020, une lassitude vis-à-vis des méthodes chinoises. La République populaire a réussi à vendre ses masques à un Occident désemparé ; en revanche elle n’a pas réussi, quelques mois plus tard, à fournir ses vaccins. Plus généralement, on a observé le début d’un retournement de l’opinion internationale vis-à-vis de la Chine communiste, dont la réputation s’est brusquement détériorée.
Cela n’en rend que plus visible ce que le « modèle chinois » du confinement généralisé a déclenché dans la majorité des gouvernements européens et occidentaux : la fascination pour l’instauration d’un état d’urgence sanitaire durable ; et la vision naïve mais dangereuse pour des économies de marché et des régimes parlementaires d’une « grande réinitialisation » (Great Reset), au sens d’un basculement des sociétés vers un « tout numérique » censé être le meilleur allié de modes de vie plus écologiques. Il est vrai que la Chine est très présente au sein des organisations internationales et des forums de concertation mondiale des dirigeants, à commencer par le World Economic Forum. Les emprunts réciproques de « recettes autoritaires » y sont non seulement favorisés mais effectifs.
SOURCES
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[1] Un Conseil supérieur de défense nationale apparaît en 1906. Organe politique de niveau gouvernemental, il vise à coordonner les activités de la défense nationale. L’article 15 de la Constitution de 1958 prévoit la réunion de conseils et comités de défense présidés par le président de la République. Le conseil définit : les orientations en matière de programmation militaire ; de dissuasion ; de conduite des opérations extérieures ; de planification des réponses aux crises majeures ; de renseignement ; de sécurité énergétique et économique ; de programmation de sécurité intérieure concourant à la sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme. Par extension les Conseils de défense sanitaire sont des Conseils de défense et de sécurité nationale chargés de prendre des décisions de crise dans le domaine sanitaire. Y siègent le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la Santé, le ministre de la Défense, le ministre de l’Intérieur, le ministre de l’Économie et celui du Travail, auxquels peuvent être invités des acteurs des grandes institutions publiques du domaine de la santé.
[2] Entretien sur CNBC, 14 July 2020 : https://www.youtube.com/watch?v=HRLw6trwXco à partir de 4 :12.
[3] Agence Xinhua, China leads world in terms of fighting pandemic: Klaus Schwab, 7 décembre 2020: http://www.xinhuanet.com/english/2020-12/07/c_139570487.htm
[4] On relira à cet effet les chapitres 17 et 18 dans Philippe Paquet, Simon Leys. Navigateur entre les mondes, Paris, Gallimard, 2016.
[5] On se reportera ici au travail méticuleux de collecte de données du journaliste Jean Robin pour le cas français (même si ses propos sont inutilement violents et les conclusions qu’il tire de ses recherches ne sont méthodologiquement pas assez travaillées). Et au remarquable travail du Gatestone Institute pour le cas américain. On lira aussi avec profit les travaux de Gordon Chang.
Merci !
L’article est déverouillé. Bonne lecture !