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Flambée des prix de l’énergie : avatar conjoncturel ou crise structurelle ?

Note d'actualité CAP ISSEP énergie
Philippe Charlez

Philippe CHARLEZ

Contributeur du CAP de l'ISSEP

Ingénieur des Mines, docteur en physique, expert sur les questions énergétiques

Introduction

Depuis mi-2021, les prix de l’énergie s’affolent[i]. Le baril de pétrole a augmenté de près de 60% passant de 45$/bbl en début d’année à 75$/bbl mi-septembre tandis que, sur les marchés européens, le prix gaz a été multiplié par quatre passant de 5$/MBTU[1] mi-2020 à plus de 20$/MBTU (Figure 1). A titre de comparaison cela correspond à 54 $/MWh pour le pétrole et plus de 70$/MWh pour le gaz. Une inversion inédite des tendances quand on sait qu’historiquement, le prix du pétrole a toujours été largement supérieur à celui du gaz naturel. Bien que partiellement conjoncturelle (correction des cours liée à la reprise faisant suite à la pandémie du COVID19, refus de la Russie de faire transiter des volumes additionnels de gaz par l’Ukraine[ii], baisse des stocks), cette situation est surtout structurelle. Pour en comprendre les tenants et les aboutissants, une mise en perspective historique est indispensable.

Figure 1 – Prix du pétrole[2] et du gaz[3] (Brent 3 principaux marchés)

 

Déclin structurel de l’offre

Dans un continent immense où le chemin de fer n’est que faiblement développé, l’accès à l’énergie représente pour l’Américain moyen un droit quasi constitutionnel. Il n’est donc pas surprenant que le pays de l’Oncle Sam ait entretenu depuis toujours des relations « incestueuses » avec les hydrocarbures. Du premier choc pétrolier à la seconde guerre du Golfe, la plupart des grands évènements historiques de la seconde moitié du XXéme siècle ont été rythmés par l’obsession de la sécurité énergétique américaine. Après avoir dépassé un pic de production pétrolière à 11,3 Mbbl/jour en 1970, les US sont entrés dans une ère de dépendance de plus en plus marquée (Figure 2). Dans les faits elle s’est traduite par une augmentation vertigineuse de sa dépendance pétrolière[4] passée de 25% en 1970 à près de 70% en 2006. Moins marquée, sa dépendance gazière s’est également accrue durant la même période, les Etats-Unis cessant d’être autosuffisants en gaz à la fin des années 80. Une situation doublement intenable pour la première puissance économique mondiale.

Figure 2 – Évolution des dépendances gazières et pétrolières américaines

(Source des données : BP statistical review 2021)

Pourtant à partir des années 2006, le panorama énergétique américain va changer du tout au tout. En moins d’une décennie, la production américaine de pétrole triple quasiment tandis que sa production de gaz augmente de 85%. En un peu plus de dix ans les Etats-Unis peuvent ainsi réduire leur dépendance pétrolière à 10% et redevenir exportateurs de gaz. Cette déflagration aussi rapide qu’inattendue s’appelle révolution des pétroles et gaz de schistes. Mais, cet afflux inattendu de gaz et de pétrole, , inonde les marchés à partir de fin 2014 (offre surabondante par rapport à la demande) et influence fortement les cours à la baisse : entre 2014 et 2016, le pétrole et le gaz sur le marché européen perdent plus de la moitié de leur valeur. Cette baisse vertigineuse des cours se répercute alors fortement sur les investissements dans l’exploration et le développement de nouveaux champs pétroliers et gaziers. Ainsi assiste-t-on dès la mi-2015 à de vastes plans de licenciements dans la plupart des grandes compagnies de service (Schlumberger, Halliburton, Baker Hugues) mais aussi chez certaines compagnies pétrolières (BP, Shell). De nombreux projets sont enterrés ou différés laissant la planète puiser son pétrole et son gaz surtout à partir de champs existants et de moins en moins à partir de nouveaux champs récemment développés.

Cette tendance est largement amplifiée[iii] sous la pression des lobbies écologistes comme les Amis De La Terre[iv] ou Extinction Rébellion[v] diabolisant le gaz et le pétrole et réclamant l’arrêt complet de tout développement de nouveaux champs considérant que les réserves existantes couvriront la fin des hydrocarbures programmées selon eux en 2050. Quant aux banques elles sont publiquement sommées d’arrêter tout investissement dans les hydrocarbures sous peine de voir leur image se dégrader. Tout le monde a encore dans la mémoire le saccage par les activistes d’XR du siège parisien du gestionnaire d’actifs américain Black Rock accusé d’investir dans les énergies fossiles. En 2020, Gaël Giraud, Jean-Marc Jancovici et Laurence Tubiana écrivaient des propos similaires dans Le Monde[vi] « développer des projets pétroliers et gaziers reviendrait à verrouiller l’économie mondiale dans la dépendance aux hydrocarbures ». En prévision de la COP26, un collectif de 150 ONG parmi lesquelles Extinction Rebellion, Greenpeace, les Amis de la Terre ou encore Avaaz a récemment demandé au président de l’AIE dans une missive ouverte[vii] « d’arrêter immédiatement d’investir dans l’exploration et le développement de nouveaux combustibles fossiles ».

Leur argument principal repose sur un simple calcul d’épuisement des réserves. Ainsi en supposant une baisse continue de la demande pétrolière de 1,5 % par an[5] seules 52% des réserves auraient été consommées en 2050 et 74% en 2070. En d’autres termes, les réserves prouvées et développées actuelles seraient largement suffisantes pour couvrir la queue des demandes pétrolière et gazière. Les nouveaux développements seraient non seulement inutiles mais surtout contreproductifs dans la mesure où ils priveraient le développement des énergies vertes de 400 milliards de dollars par an.

En raisonnant de la sorte, on confond de façon très naïve réserves et production, ignorant que le déclin naturel des champs existants est de l’ordre de 4 à 6 % par an et que ce déclin est compensé par la découverte, le développement, puis la mise en production de nouveaux champs. Aussi, même en cas de forte réduction de la demande, la stratégie consistant à arrêter l’exploration et le développement des hydrocarbures génèrerait à court terme une rupture offre-demande engendrant une flambée structurelle des cours. Cette dernière serait impossible à enrayer dans la mesure où relancer l’exploration et le développement de nouveaux champs demande plusieurs années[viii]. Mais, le pire est que cette réduction de la demande ne semble pas, au vu des données récentes, venir comme on l’attendait : selon l’Agence Internationale de l’Energie, après une baisse de 1,9% en 2020 à la suite de la pandémie du COVID19, la hausse (non encore consolidée) pourrait atteindre 3,6% cette année.

Accroissement structurel de la demande

La COP21 (décembre 2015) fût une grand-messe de bonnes intentions : « maintenir à l’horizon 2100 la température moyenne mondiale bien au-dessous de 2°C et poursuivre l’effort pour la limiter à 1,5 °C ». Hélas, bien que signés dans l’année qui suivit par tous les pays du monde[6], les « Accords de Paris » sont juridiquement non contraignants[7] et se caractérisent par une absence alarmante d’objectifs chiffrés. Ils font penser à un emprunt entre une banque et un particulier où les deux parties se seraient accordées sur la somme à rembourser mais, sans en préciser ni les annuités, ni l’échéancier de remboursement.

La décarbonation de la société passe inévitablement par un accroissement de la demande d’électricité : mobilité électrique pour l’urbain ou le périurbain, hydrogène vert (donc à base d’électricité) pour les longues distance et les véhicules lourds (camions, bateaux puis peut être avions), pompes à chaleur pour remplacer les chaudières thermique fuel ou gaz, chauffe-eaux thermodynamique électriques, remplacement du charbon par l’hydrogène et fours à arc électrique en sidérurgie, verrerie ou cimenterie la liste est longue. Encore faut-il que cette électricité soit décarbonée.

Figure 3 – Gauche : investissements dans les ENR depuis 2005[ix]

Droite : répartition de la croissance électrique 2017/2018[8]

La stratégie proposée en Europe pour y arriver est grosso modo la suivante : accompagner l’exemple allemand de l’Energiewende à savoir sortir des fossiles en accélérant la montée en puissance des énergies renouvelables tout en réduisant la croissance du nucléaire et miser de façon hypothétique sur le stockage de l’électricité. Et c’est évidemment là que le bât blesse !

Malgré des investissements pharaoniques dans les énergies renouvelables depuis 2005 (4000 G$ cumulés dans le monde – Figure 3 gauche), la réduction de la demande fossile…n’est jamais venue. En 2019, la part de fossiles représentait toujours 83% du mix mondial. Quant aux émissions des GES, elles se sont accrues de 5% depuis 2015[9]. Sur le plan des chiffres, l’année 2018[x] fut particulièrement révélatrice quant à l’inefficacité « climatique » de la stratégie retenue.  Malgré la mise en œuvre de 145 GW d’éolien et de solaire réunis[10] correspondant à un investissement de 332 G$ (soit 40% des investissements électriques de l’année), les renouvelables n’ont pourtant couvert que 29% de l’accroissement de la demande électrique globale contre 53% pour le gaz et le charbon, 13% pour l’hydroélectricité et seulement 6% pour le nucléaire (Figure 3 droite).

Autrement dit l’accroissement de la demande électrique nécessaire à la sortie des énergies fossiles est aujourd’hui en grande partie porté…par les énergies fossiles. Un presque « Vaudeville » qui a fortement accru les demandes de charbon en Chine et de gaz en Europe et aux Etats-Unis. Ainsi, en 2018, l’accroissement de la demande électrique américaine s’est reporté à 81% sur le gaz contre seulement 18% sur les renouvelables et 1% sur le nucléaire. Quant aux investissements dans le nucléaire, ils ne représentaient en 2018 que 3% des investissements globaux.

Conséquences et risques

Gommée en 2020 par la pandémie qui avait engendré une contraction de la consommation et un effondrement des cours, cette stratégie suicidaire a inéluctablement rattrapé le monde en 2021. La dépendance gazière de l’Europe est passée depuis les années 1970 de 15% (France -champ de Lacq-, Pays-Baset Mer du Nord) à presque 100% à la suite du Brexit (le Royaume-Uni reste après la Norvège le premier producteur européen de gaz) et à l’arrêt du Champ de Groningue. Rappelons au passage les interminables débats truqués sur les gaz de schiste en Europe dans les années 2010 : l’idéologie écologiste emmenée par le médiatique José Bové ne nous autorisa même pas à en évaluer le potentiel ! Même si ce potentiel n’était pas immense peut-être serions-nous très contents aujourd’hui de disposer de nos propres réserves et de pouvoir, le cas échéant, influer sur les prix.

L’accroissement de la demande de gaz associé à la réduction structurelle de l’offre ne pouvait conduire à terme qu’à une extrême tension sur les marchés européens et asiatiques et provoquer une flambée des cours. Les Européens et particulièrement les plus démunis d’entre eux risquent donc de voir leur demande rationnée par les prix, une situation inéluctable qui a été occultée aux peuples européens, mais qui rattrape aujourd’hui les politiques. Une situation face à laquelle les US sont protégés grâce à leur indépendance gazière : alors que les prix sur les marchés européen et asiatique dépassent aujourd’hui les 20$/MBTU, le Henry Hub[11]est resté sous les 5$/MBTU (Figure 1 – droite).

Quand on sait que certains pays souhaitant sortir du nucléaire vont accroitre la demande gazière, l’avenir n’est pas rose. C’est le cas notamment de la Belgique qui a promis à ses écologistes de sortir du nucléaire (50% de sa génération électrique actuelle) en 2025 comme Angela Merkel l’avait fait avec ses « Grünen » il y a dix ans.

A plus long terme, la grande menace vient d’une Chine souhaitant sortir progressivement du charbon. Pour appuyer sa montée en puissance dans les renouvelables (540 GW installés en 2020 !) tout en sortant progressivement du charbon, la Chine aura besoin de beaucoup de gaz. Si aujourd’hui, celui-ci provient surtout du Qatar, d’Australie et de Malaisie sous forme de GNL, le pipe Altaï (entrée Ouest – projet signé en 2015 mais retardé) puis peut être de celui Force de Sibérie (entrée Est – en projet) ouvriraient aux Chinois un marché Russe aujourd’hui exclusivement réservé aux Européens.

Y a-t-il pour autant risque de pénurie de gaz à moyen terme ? L’Europe étant aujourd’hui pour la Russie un marché captif, Vladimir Poutine n’a aucun intérêt à couper un « robinet à cash ». Mais il en fera payer économiquement et politiquement le prix fort à l’Europe. De ces routes européennes du gaz résulte un conflit géopolitique entre Américains et Russes. Ainsi le gazoduc Nord Stream 2[xi] opéré par Gazprom et reliant Saint Pétersbourg au nord de l’Allemagne en passant sous la mer Baltique et qui devait être finalisé en 2019 reste sous l’effet de sanctions extra territoriales américaines. Le pays de l’Oncle Sam reproche notamment à l’Allemagne sa dépendance gazière vis-à-vis du Kremlin. Nord Stream 2 est d’ailleurs loin de faire l’unanimité au sein des pays est-européens comme la Pologne et la Tchéquie, des pays « historiquement » hostiles à l’envahisseur soviétique.  Le projet enfin terminé devrait être mis en production au cours des prochains mois et permettre de lever le « goulot ukrainien »[12].

Parallèlement à la flambée des prix du gaz et faisant suite à la forte réduction des quotas amorcée en 2019, le prix du carbone en Europe a aussi atteint des sommets avec une tonne de CO2 se négociant mi-septembre à plus de 60 €. Un prix qui risque de limiter le recours temporaire au charbon d’autant que tirés par la forte demande asiatique, les cours ont aussi flambé depuis le début de l’année.

Les prix stratosphériques atteints ces dernières semaines par le gaz naturel, le charbon et le carbone ont eu un impact considérable sur le prix de l’électricité. Fin septembre 2021, le prix du MWh sur le marché de gros atteignait près de 200 € soit plus de trois fois le prix de septembre 2020. Ce qui peut paraître contradictoire est que cette facture électrique gonfle tout autant en France où le mix électrique est pourtant décarboné à 93% (73% de nucléaire, 12% d’hydroélectricité et 8% de renouvelables intermittents) que dans les pays fortement charbonnier et gazier (Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni). Ce paradoxe est lié à la règle du « merit order » qui choisit de mettre en œuvre les sources les plus économiques (renouvelables, hydro, nucléaire) avant les sources les plus chères (gaz, charbon), le prix du MWh s’établissant sur le coût de la toute dernière source mise en œuvre (et donc la plus chère) pour répondre aux pics de demande électrique[xii] et non sur une moyenne pondérée des différentes sources utilisées. Sans cette règle qui peut à priori paraître absurde la source la plus chère ne rentrerait pas dans ses frais, ne serait pas mise en œuvre et conduirait, dans un réseau interconnecté, à des blackouts électriques permanents. L’électricité au prix de la source la plus chère est une sorte de franchise permettant de garantir un accès à l’électricité 100% du temps : « si le marché européen fait gagner beaucoup d’argent à EDF, il permet aussi d’éviter 40 jours de blackout par an »[xiii]

A court terme il faut donc s’attendre à une explosion des tarifs de l’électricité dans tous les pays européens plutôt qu’à une réelle pénurie. Pour tous les gouvernements, il y a un risque évident que la crise sanitaire que nous avons vécu au cours des deux dernières années fasse place à une crise énergétique de grande ampleur aux conséquences socio-économiques inédites. Un sujet plus qu’inflammable à six mois de l’élection présidentielle.

Quelles solutions à court terme ?

Sécuriser des approvisionnements

La première des choses est de sécuriser l’approvisionnement gazier européen. Cette sécurisation passe d’abord et avant tout par une main ouverte à la Russie, le meilleur message étant de mettre en production le plus rapidement Nord Stream 2 afin de compenser la perte d’approvisionnement liées à la sous-utilisation du gazoduc ukrainien. Ainsi, la déclaration d’Alexander Novak vice-premier ministre russe estimant[xiv] « que la certification de Nord Stream 2 pourrait permettre d’accroitre la distribution » a en un clic impacté les prix à la baisse. L’Union Européenne pourrait aussi pour un temps desserrer sa règle de concurrence spécifiant qu’un opérateur gazier (GAZPROM notamment) ne peut transiter plus de 40% de la consommation européenne. La détente avec la Russie passe aussi par la levée des mesures de rétorsion datant le la crise de Crimée et encore aujourd’hui en vigueur. Ces mesures ne pourront toutefois pas se faire sans en avoir préalablement averti l’allié américain. En compensation, l’Europe pourrait acheter du Gaz Naturel Liquéfié aux US dont la plupart des exportations transitent vers le sud-est asiatique.

Accompagner les hausses sur le plan social et économique

Les personnes démunies impactées se tourneront inévitablement vers l’Etat qui en période de campagne électorale ne pourra s’abstraire de les aider pour prévenir les troubles sociaux. La dette est aujourd’hui de 120% du PIB, on n’est (malheureusement) plus à quelques pourcents près !

Toutefois, si la hausse du prix du gaz profite essentiellement aux grands pays producteurs, la hausse des tarifs de l’électricité profite aussi largement à EDF et donc indirectement…à l’Etat. Ce dernier possède donc un levier majeur pour demander au fournisseur public de redistribuer temporairement une partie de son bénéfice sous forme d’aides aux plus démunis ou sous forme de réduction de taxes mais aussi aux entreprises dont les charges énergétiques vont s’accroitre de façon significative. Quant au déficit du commerce extérieur impacté à 80% par le prix des produits pétroliers, il risque lui aussi d’exploser au cours des prochaines années.

Assouplir pour un temps le marché du CO2

L’augmentation récente de la taxe carbone faisant suite à la réduction des quotas en 2019 met encore un peu plus sous pression les entreprises énergétivores (ciment, verre, chaux, sidérurgie). Il serait donc souhaitable d’accroitre les quotas pour détendre au moins pour un temps le marché européen du carbone.

Lutter de façon drastique contre les gaspillages énergétiques dans le tertiaire

Alors que l’occupation physique du tertiaire privé (des grands centres commerciaux aux petits commerces en passant par les immeubles de bureaux) et public (écoles, mairies, ministères…) n’est que de 20%, son occupation énergétique atteint 80%[xv]. L’Etat pourrait donc imposer des économies drastiques d’énergie dans le tertiaire où le chauffage et l’électricité restent souvent allumés en dehors des heures de bureau. Un calcul élémentaire montre que passer d’un taux d’occupation énergétique de 80% à 50% permet d’économiser 90 TWh/an soit près de 20% de la consommation électrique actuelle.

Ne pas cacher le coût de l’énergie au consommateur

Selon Christian Grollier[xvi] pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, le prix de l’énergie augmentera fatalement et de façon très significative. Et cette hausse ne doit pas être occultée à l’opinion publique qui devra inévitablement la supporter. En baissant les taxes, on laisserait penser au consommateur que l’accroissement du prix de l’énergie reste modéré et on encouragerait le gaspillage. L’économiste surenchérit avec raison en précisant : « on ne peut cacher indéfiniment le vrai prix de l’énergie au consommateur. In fine c’est à lui à payer le prix des biens et des services qu’il consomme. Assimiler la lutte contre le changement climatique à la lutte contre les inégalités serait la pire des choses. La guerre contre le changement climatique se gagnera en mobilisant l’ensemble de la population et non seulement un sous ensemble de riches et d’entreprises ».

Quelles solutions à moyen terme ?

Maintien du nucléaire, grand carénage, 6 EPR et SMR, stockage des déchets

La France doit définitivement lever le verrou idéologique et sociétal lié au nucléaire via un message clair de ses dirigeants affirmant haut et fort leur volonté de ne plus fermer aucune centrale existante, de poursuivre le grand carénage et de lancer les six EPR prévues au plan. Le grand carénage (50 milliards d’euros) prolongera de 20 ans la vie des 56 réacteurs existant et ne réenchérira le MWh que de 7€[xvii]. Quant aux six nouveaux réacteurs EPR prévus à l’horizon 2035 rajoutant au parc une dizaine de GW, ils amèneront entre 70 TWh et 80 TWh de production annuelle d’électricité supplémentaire. Un message que relaye, il faut le reconnaître, de façon courageuse le ministre de l’Economie Bruno Le Maire : « arrêtons l’hypocrisie et ayons le courage de dire à nos concitoyens que sans le nucléaire on ne pourra décarboner la consommation énergétique européenne »[xviii].

La proposition d’Emmanuel Macron[xix],[xx] d’envisager la construction de SMR (Small Modular Reactors – mini centrales nucléaires de quelques dizaines à 150 MW) doit être encouragée car, elle va de pair avec l’inévitable décentralisation de la génération électrique liée à la mise en œuvre massive du solaire et de l’éolien. Les SMR pourraient dans l’avenir devenir « les meilleurs amis des renouvelables » en lieu et place du gaz pour compenser localement les intermittences. La faible puissance des SMR va de pair avec davantage de sureté : peu de combustible à mettre en œuvre et à retraiter, risques majeurs écartés, démantèlement hyper simplifié. En revanche, la faible puissance est économiquement défavorable. Pour en abaisser le coût, il est nécessaire de développer des conceptions modulaires standardisées produites en série et rapidement installables[xxi].

La levée du verrou sociétal passe aussi par une communication élargie sur la sécurité du stockage des déchets nucléaires notamment par des visites de personnalités publiques au laboratoire de stockage profond de l’ANDRA (projet CIGEO) en Meuse/Haute-Marne[xxii].

Enfin, devenue aujourd’hui intenable, la position anti-nucléaire purement idéologique des Verts doit être combattue quant à ses graves conséquences.

Relancer ASTRID et davantage supporter ITER

Le nucléaire du futur passe aussi par la relance de la surgénération au Plutonium lâchement abandonnée par le gouvernement sous la pression des Verts. Décidé par Jacques Chirac et confirmé par Nicolas Sarkozy, le projet ASTRID subit le même sort que Superphénix vingt ans plus tôt. Faisant de la réduction du nucléaire un préalable à leur accord électoral avec François Hollande en 2012, les Verts[xxiii] souhaitèrent réviser la politique EPR mais aussi interdire le lancement de tout nouveau réacteur. Avec les mêmes arguments que les fossoyeurs de Superphénix, ils finirent par avoir la peau d’ASTRID : le 30 août 2019, par la voix d’Elisabeth Borne Ministre de la Transition Ecologique, le Gouvernement annonça l’Arrêt du projet. Ce qui fut une grave erreur.

Quant au projet international ITER de fusion nucléaire (Cadarache – Provence), il pourrait en cas de succès libérer l’humanité de sa « geôle énergétique ». Au mieux, il ne devrait pas être industriellement opérationnel avant 2070. Un accroissement significatif du budget pourrait réduire ces délais lointains.

Russie et contrats long terme

Le renforcement à court terme de la coopération gazière avec la Russie devra se consolider à moyen terme. Il serait notamment souhaitable de renégocier avec GAZPROM des contrats long terme parfois un peu oubliés avec l’émergence du marché européen du gaz au comptant. Les contrats « long terme » ont en effet l’avantage de garantir l’approvisionnement (engagement mutuel des deux parties sur les quantités) et les prix. Parfois pénalisants en cas de cours déprimés, ils lissent significativement les hausses en cas de flambée des cours. Des discussions auxquelles la Russie semble prête comme l’a récemment déclaré Dmitri Peskov le porte-parole de Vladimir Poutine[xxiv].

Renforcer la coopération européenne de l’énergie

La transition énergétique sera essentiellement électrique et une partie significative de cette électricité sera portée par le gaz. Or, contrairement au pétrole qui voyage « au gré du vent » sur tous les océans de la planète, le gaz et l’électricité sont intimement liés au territoire européen via les réseaux électriques et gaziers. Une transition réussie peut difficilement être le résultat d’une somme de transitions nationales.

Les européens ont donc intérêt à transcender leurs égoïsmes nationaux en diversifiant (gazoduc mais aussi GNL) et en mutualisant leurs achats de gaz. Si, comme il faut s’y attendre, les cours du gaz restent élevés, le dossier gaz de schistes pourrait être ressorti pour en réévaluer le potentiel et l’acceptabilité sociétale. Une production domestique de gaz aurait, sans aucun doute, un effet détente sur les prix.

Pour ce qui est de l’électricité, l’Europe a mis 20 ans à construire un marché transparent et efficace. Ce marché permet d’éviter grâce à l’interconnectivité des réseaux et donc grâce à une certaine solidarité entre Etats Membres d’éviter tout blackout. Malgré les pressions récentes du Ministre de l’Economie Bruno Le Maire et de sa secrétaire d’Etat Agnès Panier-Runacher, Bruxelles ne semble pas prêt à changer les règles prétextant qu’il n’est pas responsable de la flambée des cours du gaz et que finalement cette flambée est plus que profitable à EDF (et donc à l’Etat) qui produit massivement des MWh nucléaires à 42€ puis les revend sur le marché de gros entre 100€ et 200€. Même si Bruno Le Maire « montre les muscles » la France ne peut vivre aujourd‘hui en dehors du réseau électrique européen. Tout retrait lui serait fatal.

En revanche l’Europe doit intégrer le nucléaire et non le gaz dans la taxonomie verte comme le souhaite les Allemands. Pour la France il s’agit d’un point qui, à l’échelle européenne, doit devenir non négociable.

Réviser la stratégie européenne du tout renouvelable

« Soit on continuera face aux prix élevés à faire de plus en plus de chèques énergie pour permettre aux consommateurs de payer leurs factures, soit on change de stratégie en renonçant définitivement à l’idéologie verte qui à moyen terme nous mènera dans le mur » déclarait récemment l’économiste Thierry Bros qui fait autorité dans le domaine de la transition énergétique. Faire croire aux européens que les renouvelables résoudront la problématique climatique et fourniront une énergie bon marché relève d’un double mensonge[xxv]. Les fournisseurs de renouvelables se targuent aujourd’hui de fournir des MWh compétitifs moins chers que le gaz et le nucléaire du futur. Mais, sans support du gaz (ou le cas échéant du nucléaire) venant au secours de ces intermittences, le pays serait soumis à des blackouts fréquents. Les renouvelables doivent donc intégrer dans leur prix les MWh gaziers (ou nucléaires) indispensables pour les soutenir en cas d’intermittence.

Réduire la demande d’énergie

L’optimisation de la consommation énergétique dans les transports, l’habitat et l’industrie reste évidemment le premier levier. Les réserves restent immenses tant à partir de leviers technologiques que comportementaux. Ce sujet sort toutefois du cadre de ce rapport.

 

 

SOURCES

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[1] MBTU = millions thermal british units

[2] Source des données Energy Information Administration

[3] Source des données Connaissance des énergies

[4] La dépendance pétrolière (gazière) est le pourcentage de la consommation qui est importé.

[5] Chiffre considéré par l’AIE dans son scénario Développement Durable

[6] Hormis la Syrie et le Nicaragua

[7] L’ONU qui porte le projet n’a aucun pouvoir de sanction vis-à-vis des États

[8] Source des données : BP Statistical Review

[9] Source des données BP Statistical Review 2021

[10] 145 GW c’est en équivalence deux fois et demie le parc nucléaire français (60 GW environ) ou plus de 70000 éoliennes équivalentes de 2MW

[11] Le Henry Hub est le nom du gaz sur le spot américain

[12] Le gazoduc historique Brotherhood datant de la fin des années 1960 et transitant vers l’Europe par l’Ukraine est en effet sous employé en raison du différent politique entre la Russie et l’Ukraine.

[i] https://www.contrepoints.org/2021/06/29/400554-prix-du-gaz-attention-danger

[ii] » https://www.lopinion.fr/edition/economie/thierry-bros-l-europe-est-responsable-flambee-prix-gaz-254535

[iii] https://www.contrepoints.org/2021/04/01/394396-climat-les-ecolos-font-pression-sur-les-banques

[iv] https://www.amisdelaterre.org/communique-presse/total-la-strategie-du-chaos-climatique/

[v] https://www.lesechos.fr/finance-marches/gestion-actifs/blackrock-le-siege-parisien-du-gestionnaire-dactifs-devaste-par-des-manifestants-1170641

[vi] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/12/developper-des-projets-petroliers-et-gaziers-reviendrait-a-verrouiller-l-economie-mondiale-dans-la-dependance-aux-hydrocarbures_6059430_3232.html

[vii] https://www.fixtheweo.org/letter/

[viii] https://www.causeur.fr/pour-lecologie-politique-lurgence-ideologique-lemporte-largement-sur-lurgence-climatique-211398

[ix] https://www.connaissancedesenergies.org/energies-renouvelables-une-baisse-des-investissements-mondiaux-en-2018-mais-190117

[x] https://www.institutsapiens.fr/le-monde-seloigne-a-grands-pas-des-accords-de-paris/

[xi] https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/01/05/nord-stream-2-les-etats-unis-accentuent-les-sanctions-contre-le-gazoduc_6065208_3234.html

[xii] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/trois-questions-pour-comprendre-la-flambee-des-prix-de-l-electricite-en-france-893273.html

[xiii] https://www.lopinion.fr/edition/economie/prix-l-energie-n-est-que-debut-255648

[xiv] https://www.lopinion.fr/edition/international/crise-l-energie-bruxelles-pression-etats-membres-256203

[xv] Ph. Charlez (2021) « L’Utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » Editions JM Laffont

[xvi] https://www.lopinion.fr/edition/economie/christian-gollier-il-ne-faut-pas-cacher-cout-l-energie-consommateur-256058

[xvii] https://www.contrepoints.org/2021/09/28/406836-nucleaire-le-presque-ko-de-zemmour-face-a-melenchon

[xviii] https://www.latribune.fr/economie/france/bruno-le-maire-je-propose-d-affecter-les-taxes-sur-les-energies-fossiles-a-la-transition-ecologique-893651.html 

[xix] https://www.lopinion.fr/edition/economie/emmanuel-macron-envisage-construction-mini-centrales-nucleaires-255731 

[xx] https://www.lopinion.fr/edition/economie/nucleaire-choix-realiste-decarbonation-toute-l-economie-gerard-longuet-256079 

[xxi] https://www.encyclopedie-energie.org/les-reacteurs-electrogenes-modulaires-de-faible-puissance-ou-small-modular-reactors-smr/

[xxii] https://www.andra.fr/les-dechets-radioactifs/les-solutions-de-gestion/stockage-profond

[xxiii] https://reporterre.net/L-accord-PS-Ecolos-le-texte-original-complet

[xxiv] https://www.connaissancedesenergies.org/afp/la-crise-du-gaz-en-europe-na-rien-voir-avec-la-russie-kremlin-211006 

[xxv] https://www.contrepoints.org/2021/10/02/407148-nucleaire-comment-il-peut-nous-sauver-du-gaz