Afrique du Sud

Après 30 ans de gouvernance sans partage, l'ANC en minorité.

Ce 29 mai 2024, les électeurs de la République d’Afrique du Sud ont été appelés aux urnes. Il s’agissait d’élire les 400 députés (200 à la proportionnelle sur des listes nationales, et 200 au sein des neuf circonscriptions provinciales que compte le pays).

Cette élection marque un tournant dans le pays le plus riche d’Afrique (en 2024, le PIB de Afrique du Sud, estimé à 373 milliards de dollars US, a supplanté celui du Nigéria relégué à la quatrième place du continent), membre du BRICS depuis 2011.

Les premières élections post-apartheid, en 1994, avaient consacré la domination de l’ANC (African National Congress) sur la vie publique sud-africaine. Parti historique de la lutte anti-apartheid, aujourd’hui ancré dans la sociale démocratie après avoir longtemps flirté avec le marxisme, l’ANC enregistre une défaite électorale significative.

Le résultat est en réalité une demi-surprise, tant les sondages de ces dernières semaines étaient mauvais pour le parti en place. Avec 42% des suffrages, l’ANC décroche de plus de 17 points par rapport au précédent scrutin de 2019, passant de 57,50% à 40,19% et de 230 sièges à 159.

L’usure du pouvoir, la corruption endémique, une politique sanitaire déficiente, notamment face au HIV, une grave crise énergétique et une insécurité record expliquent en grande partie ce décrochage historique, mais pas seulement.

Une campagne sous le signe de l’immigration sauvage

Une thématique nouvelle, et inattendue, s’est invitée dans la campagne électorale, au point d’obliger l’ensemble des grands partis à se positionner : l’immigration. L’Afrique du Sud est en effet, à plus de 40%, la première destination de l’immigration intra-africaine, issue principalement du Zimbabwe et du Mozambique, deux pays en plein naufrage économique, conséquence de décennies de gestion marxisante. Depuis 2010, l’augmentation des flux migratoires a ainsi progressé de 44% dans un pays qui, même s’il occupe désormais la première place dans le classement économique des pays africains, subit un chômage de masse qui touche environ 35% de la population (plus de 50% dans certaines banlieues).

Depuis 2022, des bandes armés, baptisées « groupes d’autodéfense » ont fait leur apparition et font la chasse aux immigrés. Ces attaques, fréquemment accompagnées d’homicides, ne sont pas le fait de la minorité blanche ou de nostalgiques de l’apartheid, mais se produisent dans de nombreux townships bastions de l’ANC, à Soweto notamment.

L’opposition libérale reste stable

L’effondrement de l’ANC profite à peine à l’opposition traditionnelle, libérale et centriste, regroupée au sein de la Democratic Alliance (DA), qui regroupe la classe moyenne « de couleur » (noire, métisse et indienne) et les blancs progressistes. La DA passe de 20,77% à 21,80% (et de 84 sièges à 87) confortant ainsi sa position de premier parti d’opposition, mais sans éclat. Une dissidence de centre-droit de la DA, l’ActionSA, apparue en 2020, recueille 1,19% et 6 sièges.

Que l’on ne s’y trompe cependant pas : réunir plus de 1% des suffrage en Afrique du Sud est le signe d’une véritable implantation et d’une force politique réelle. Les diversités géographiques, ethniques et religieuses constituent en effet un frein significatif dans l’émergence de forces politiques nouvelles.

La résurrection de Jacob Zuma et l’apparition d’une extrême-droite noire

C’est surtout un nouveau venu sur la scène politique sud-africaine qui capte les voix manquantes à l’ANC.

D’une part le uMkhonto weSizwe (MK, en zoulou littéralement « fer de lance de la nation »), qui reprend le nom de l’ancienne branche paramilitaire de l’ANC. Fondé en décembre 2023 par l’ancien président (ANC) Jacob Zuma, le MK, tout en se revendiquant à gauche (Jabob Zuma a longtemps été la principale figure de l’aile gauche de l’ANC), a mené une campagne anti-immigration, nationaliste zoulou (ethnie à laquelle appartient Zuma), et anti-LGBT. Crédité de 14,58% et 58 sièges, il constitue la très grosse surprise de ce scrutin.

Dans un autre registre, puisqu’elle revendique clairement l’étiquette d’extrême-droite, voire d’ultra-droite (far right), la Patriotic Alliance (PA) réussit une mini-percée électorale en passant de 0,04% à 2,06%. Economiquement libéral, mais conservateur sur le plan sociétal, favorable à la réintroduction de la peine de mort et très anti-immigration (il est soupçonné d’être le commanditaire de plusieurs « groupes d’autodéfense »), ce parti fait ainsi son entrée au sein du Parlement sud-africain avec 9 sièges. Il semble inaugurer l’apparition sur la scène politique d’une « extrême-droite » noire parfaitement assumée. Il convient de noter à son sujet des scores particulièrement élevés dans certaines des neuf provinces du pays comme Western Cape ou Northern Cape (respectivement 7,84% et 8,60%).

Le MK comme la PA ont notamment mené campagne sur la personne du président (ANC) en place, Cyril Ramaphosa, membre de l’ethnie venda, laquelle se situe à cheval sur la frontière avec le Zimbabwe. Il a ainsi été accusé de laxisme envers les flux migratoires en provenance de ce pays dans laquelle son ethnie a des attaches.

Les marxistes, les Zoulous, les Afrikaners et les autres…

Enfin, les marxistes du mouvement Economic Freedom Fighters (EFF – Combattants pour la liberté économique) connaissent un léger tassement, dont profite notamment le MK de Jabob Zuma. Il passe ainsi de 10,79% et 44 sièges à 9,51% et 39 sièges.

Les deux partis communautaristes les plus significatifs restent relativement stables, enregistrant des scores qui, s’ils sont faibles à l’échelon national, sont très concentrés dans leurs zones d’implantation. C’est ainsi que le parti zoulou Inkatha Freedom Party (IFP) progresse légèrement avec 3,85% (3,38% en 2019) et 17 sièges (contre 14 dans la précédente mandature). A noter que dans la province du Kwazulu-Natal, berceau du mouvement, son résultat est de 18,26% (contre 16,34% précédemment). Les résultats dans cette province sont marqués par une débâcle de l’ANC qui, avec seulement 17,22%, recule de 37 points ( !) au profit notamment du MK (44,90%).

Le Freedom Front Plus (FF+, Front de la Liberté +) qui représente l’extrême-droite blanche et rassemble près d’un tiers du vote de la communauté afrikaner (moins de 7% du total) apparait en très net tassement avec 1,36%  et 6 sièges (10 dans le précédent mandat). Il se maintient cependant dans ses « bastions » électoraux des provinces du Free State, du Gauteng et du Nort West. Le FF+ milite pour la création d’un Volkstaat (« état du peuple ») autonome linguistiquement et ethniquement, à dominante afrikaner.

Pour le reste, quelques 19 sièges se répartissent entre une dizaine d’autres partis allant des démocrates-chrétiens aux socialistes panafricains en passant par différentes nuances de centristes…

Il convient de noter que plusieurs partis d’opposition, à commencer par la Democratic Alliance (DA), sont signataires d’un pacte électoral anti-ANC, anti-EFF, anti-MK et anti-PA. Cette Multi-Party Charter qui regroupe, outre la DA, l’IFP et le FF+, ne devrait guère survivre aux élections qui viennent de se dérouler.

Vers une cohabitation inédite

Si les élections de 1994 avaient formellement mis fin à la période de l’apartheid, celles de 2024, trente années plus tard, ouvrent une période nouvelle. D’une part, il est de tradition que le président de la République soit issu du parti majoritaire. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?

Si, d’autre part, une union des oppositions contre l’ANC s’avère impossible compte tenu de leur diversité, la future coalition gouvernementale peut avoir des implications importantes, et pas seulement en Afrique.

Trois possibilités semblent s’offrir à l’ANC qui malgré sa défaite demeure, avec plus de 40% des voix, un pivot incontournable. D’une part, une « grande coalition » avec le principal parti d’opposition, la Democratic Alliance (DA) pourrait être envisagée, d’autant que le leader du parti libéral John Steenhuisen, un blanc, s’est dit ouvert à des discussions (en contradiction, semble-t-il, avec la Multi-Party Charter initiée par ce même parti…). Cela aurait pour effet de rassurer les marchés internationaux, mais la présence de la DA, très occidentaliste, au sein du gouvernement pourrait entraîner une mise en retrait du BRICS.

La seconde option consisterait en une coalition avec les marxistes de l’EFF dont le leader, Julius Malema, est par ailleurs un ancien de l’aile gauche de l’ANC. Une telle hypothèse semble pour l’instant à écarter tant les orientations économiques de l’EFF semblent hors sol, même si en cas de blocage institutionnel, rien n’est à écarter.

Reste enfin l’hypothèse d’une alliance avec le MK, dont le score surprise place en position de challenger. Certes, son leader, Jacob Zuma, est un ancien président de l’ANC, chouchou de son aile gauche. Mais le personnage, déclaré inéligible, est pour le moins sulfureux avec des affaires de viols, de corruption, de trafic d’influence, de vols et d’abus de biens sociaux qui lui collent à la peau. Mais ce ne serait pas la première fois qu’un homme publique, condamné dans un prétoire, retrouve une jeunesse politique dans les urnes…

La réconciliation entre Zuma et l’ANC pourrait notamment se faire par l’intermédiaire de la principale opposante au président Cyril Ramaphosa au sein du parti présidentiel : la ministre Nkosazana Dlamini-Zuma. Battue de justesse par l’actuel président en 2017, lors de la 54ème conférence nationale de l’ANC, elle a annoncé sa volonté de briguer la succession d’un leader désormais bien affaibli par l’échec électoral de ce mois de mai. Radicale et panafricaine, Nkosazana Dlamini-Zuma n’est autre que l’ex-épouse de Jabob Zuma.

En tout état de cause, les coalitions, déjà pratiquée à l’échelon locale dans les « métros » (municipalités) sud-africaines, nous enseigne qu’elles ne reposent sur aucun principe politique et sur aucune cohérence idéologique. La constitution des prochains exécutifs provinciaux nous en apprendra d’avantage.

Sylvain Roussillon.

 

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